JACK JOSEPH SOUDEUR-SOUS MARIN de Jeff Lemire

Encore peu connu et mésestimé chez nous, le canadien Jeff Lemire s’affirme pourtant nettement comme une des découvertes les plus passionnantes de la bande dessinée nord-américaine de ces dernières années suite à la parution en 2009 du poignant ESSEX COUNTY, récit en trois parties qui formait une envoutante saga rurale, justement primé aux EISNER AWARDS (mais inexplicablement ignoré chez nous par la sélection du festival d’Angoulême lors de sa traduction française par Futuropolis). Depuis, Lemire s’est vu courtisé par la major DC COMICS, y a crée son propre comic-book pour le label VERTIGO (SWEET TOOTH toujours inédit chez nous) et fait partie du pool d’auteurs qui chapeautent les séries vedettes de la firme (ANIMAL MAL, JUSTICE LEAGUE…). Ce nouveau roman graphique témoigne pourtant de la volonté de Lemire de continuer, en parallèle de son travail plus commercial pour DC, à creuser son univers et à produire des ouvrages plus personnels. On ne s’étonnera guère que JACK JOSEPH SOUDEUR SOUS MARIN s’inscrive, si ce n’est dans la lignée d’ESSEX COUNTY, en tous cas dans une cohérence thématique totale avec le livre qui l’avait révélé.

Jack Joseph soudeur sous marin jeff lemireLe héros du livre, Jack, est un jeune trentenaire, vivant dans un petit village en bord de mer et qui travaille comme plongeur sur une plateforme sous-marine. Tandis que sa compagne s’apprête à accoucher de leur premier enfant, Jack doit réaliser une dernière mission sur la plateforme avant de revenir pour la naissance de son fils. Mais au fond, quitte-t-il la femme qu’il aime par obligation ou pour fuir une peur non-formulée de la paternité, voire de la vie réelle tout court ? Or une fois arrivé sur la plateforme, il va être victime d’un accident de plongée qui va tout faire basculer. Peu à peu cette vie réelle que Jack semble fuir va se craqueler et comme le laisse présager la préface de Damon Lindelof (qui compare le livre à un épisode de la série THE TWILIGHT ZONE), le récit va basculer dans le fantastique. Sans vouloir déflorer l’intrigue (le livre gagne à être découvert en en sachant le minimum…), Jeff Lemire signe un récit qu’il serait injuste de limiter au genre “fantastique” d’autant que l’auteur prend son temps avant d’amorcer un virage vers l’irrationnel.

Comme ESSEX COUNTY, JACK JOSEPH est un livre dans lequel on rentre progressivement, c’est un cadre, une atmosphère qui s’installe et les personnages et leurs relations qui se révèlent peu à peu, par petites touches, Lemire osant le pari d’une certaine lenteur, faisant confiance à la patience du lecteur. On y retrouve à la fois son trait si caractéristique, ce noir et blanc si épuré, cette ligne brute, irrégulière, faussement malhabile et cette science de la narration qui entremêle les temporalités et plonge le lecteur dans le dédale des souvenirs du personnage. On le savait déjà (voire cette histoire dans ESSEX COUNTY ou un vieillard atteint de la maladie d’Alzheimer revivait son passé tout en le sentant s’évanouir dans les brumes de son cerveau) mais Lemire excelle décidément à traduire le sentiment d’un temps flottant, imprécis, hanté par les spectres du passé. Certes, Lemire finit par avoir recours au fantastique, mais c’est avant tout le portrait d’un homme et le trajet d’une quête de soi qui constitue le fil de son récit.

JACK JOSEPH s’avère être une superbe variation sur le thème de la transmission et de la mémoire, comment notre passé, nos origines, notre famille pèsent sur notre destinée et les abîmes de solitude qu’il faut parfois affronter pour enfin se trouver soi-même. La limpidité du dessin et de la narration est au service d’une merveilleuse mécanique de précision dans laquelle chaque élément du récit s’imbrique et se révèle sans qu’on ait jamais l’impression d’un verrouillage du sens. La toute dernière planche est assez inoubliable d’intensité émotionnelle et révèle aussi que derrière son mariage de fantastique et d’introspection, JACK JOSEPH, SOUDEUR SOUS MARIN est avant tout un très beau et bouleversant mélodrame.

JACK JOSEPH SOUDEUR SOUS MARIN – Un tome aux éditions Futuropolis – Traduction de Sidonie Van Den Dries –  Sortie le 6 Juin 2013

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