Bruno Peyron est arrivé hier à Cascaïs, après avoir suivi à distance les 10 jours de préparation de l’AC45 Energy Team, puis les premières manches des AC World Series courues ce week-end. A la veille de la reprise des hostilités sur le plan d’eau de Cascaïs, il apporte une regard, forcément extérieur, sur ce qui s’est passé depuis un peu moins de trois semaines et nous livre ses premiers commentaires. L’occasion de faire un point sur la progression du défi français dans ses différentes composantes. Entretien.
– Bruno, quel regard portez-vous aujourd’hui sur les 2 premières journées de régate entre Energy Team et ses concurrents, à Cascaïs ?
– Bruno Peyron : ” L’équipe est solide, soudée, ça progresse très vite, les premiers résultats sont encourageants et on reste très lucide sur le décalage normal qu’il y a entre nous et les Top Team. Côté préparation, l’équipe a fait un super boulot en très peu de temps. Manifestement ils ont vraiment bien travaillé, j’ai vu tout ce qu’ils ont déjà amélioré sur le bateau. Loïck a formé un beau groupe, bon esprit, très positif, offensif, ça se voit, ça se sent.
Dès qu’ils sont partis sur l’eau ce week-end, on a pu vérifier cette bonne cohésion. Dès le premier jour, ils ont eu d’entrée ce petit coup d’éclat avec une deuxième place très symbolique, dans la première manche du premier jour. C’est plus symbolique qu’autre chose! , mais cela n’arrive pas par hasard non plus… Et puis après, cela a été plus difficile pour les pauvres avec leur intoxication alimentaire qui, sans chercher d’excuses, ne leur permettaient pas vraiment d’être dans le match. Et comme Loïck l’a souligné, ils n’avaient jamais navigué encore dans le tout petit temps sur ces bateaux-là…
Le lendemain, ils avaient décidés d’être plus agressifs, ce qui s’est bien bien vu avec leur passage canon de la ligne de départ dans la seconde à deux mètres de Team New Zealand. C’était un très très beau départ ! Après, la course se déroule avec des plus et des moins, c’est la course, puis une très belle remontée à la quatrième, comme l’expliquait bien Loïck hier. Ça nous aurait donné un point de plus, ce qui nous aurait permis de nous situer juste derrière les! Top Team au classement provisoire, la place que l’on ambitionne sur ces premiers World Series “.
– Après les manches, l’équipe analyse la journée ?
– BP : Oui biensur, ils ont un débriefing chaque soir, très critique, lors duquel ils revoient et analysent les images de leurs régates, de leurs réglages, les bons coups, les erreurs commises. C’est fait de manière très constructive mais sans concession, dans l’obsession de progresser sans cesse”.
– Deux belles manches, une bagarre serrée en milieu de tableau, quelle marge de progression ?
– BP : ” On est pas encore à l’objectif que l’on s’est fixé, mais on n’a que deux journées de course… C’est à la fin de la semaine qu’on comptera les points. Le contexte fait que nos objectifs sportifs sont modestes, on travaille d’abord la prise en main du bateau, puis la sélection de l’équipe navigante la plus performante. Quant à la place espérée, c’est la place le plus haut possible dans le tableau des nouveaux. On veut être de ceux qui progressent le plus vite, avec l’objectif de finir la semaine au plus près possible des Top Team. Avec quelques nouveaux petits coups d’éclat encore, car on a montré que l’on peut aussi se faire menaçant par rapport au Top 3. Voilà, le potentiel est là mais il doit se libérer et s’exprimer davantage. Il va falloir du temps… Maintenant, n’oublions pas que l’objectif n’est pas Cascaïs, notre objectif est d’être au meilleur niveau dans deux ans pour l’America’s Cup à San Francisco “.
– Combien de temps justement, avant d’espérer rejoindre les Top Team ?
– BP : ” On peut espérer les rejoindre en milieu de saison. On est au commencement de l’histoire et ils ont six mois d’avance sur nous. L’avance que nous, français, avions sur le papier n’existe plus aujourd’hui. Ils sont passés devant nous et on est juste un peu en retard au niveau préparation. Ils ont aussi six mois d’avance en terme de moyens, ce qui leur permet d’être sur tous les supports, Extrême 40, D35,… et de s’entraîner sans cesse. Ils sont partout, c’est une vraie force. Donc raisonnablement, on ne pourra espérer devenir menaçants pour le groupe de tête, qu’après San Diego. Il ne faut pas oublier qu’on en est toujours à faire tourner les équipages, afin de faire la meilleure sélection. Loïck va partir sur le Fastnet et Yann Guichard va le remplacer, mais il n’aura eu que quatre jours d’entraînement, donc il faut re! ster prudent. On ne peut pas mettre trop de pression sur l’équipe pour faire un résultat dimanche”.
– Quels entraînements après Cascaïs et avant Plymouth (du 10 au 18 septembre) ?
– BP : On ne peut pas s’entraîner sur les bateaux après dimanche car ils partent sur les cargos. Donc il n’y aura pas d’entraînement possible entre Cascaïs et Plymouth sur les AC45. On voulait faire une session d’entraînement entre les deux à Quiberon mais ce sera impossible. On organisera néanmoins une session d’entrainement fin septembre début octobre à l’ENV sur des catamarans de 25 pieds “.
– Où en êtes-vous dans vos discussions avec des partenaires potentiels ?
– BP : ” On est déjà satisfait d’avoir un premier partenaire important, prestigieux et légitime (Corum), et d’être maintenant dans un bon timing. Notre équipe est en marche et nous sommes les seuls français à pouvoir affirmer que nous serons présents jusqu’à la fin du Circuit des AC45, fin 2012. Cela nous permet de nous concentrer, en toute sérénité, sur le partenaire majeur pour les AC72, afin de boucler le budget global dans les 3 mois qui viennent. Ce timing est réaliste compte tenu de la qualité des discussions que nous menons depuis des mois avec différents Groupes. On a décalé de septembre à janvier prochain, la date de début de construction du grand bateau, donc tout est calé, organisé”.
– Quel est votre opinion sur la multiplicité des défis Français et le non rapprochement manifeste entre vous ?
– BP : “D’abord, concernant un possible rapprochement, je rappelle que l’on a été les premiers et les seuls à faire toutes les tentatives de rapprochement mais que cela n’a pas pu se faire pour un tas de raisons. Maintenant, il n’y a que deux défis français, ce qui éclaircit le jeu ! Quand à certains commentaires entretenant le doute sur l’existence hypothétique d’une 3e initiative tardive, il faut savoir que nous souhaitions nous-même pouvoir bénéficier d’une procédure de “Late Entry” (inscription tardive), mais on nous a fait comprendre que cette procédure n’était adaptée que pour les pays n’ayant pas encore de team engagé. Nous avons donc pris la décision d’aller sur le Circuit AC45 pour garantir à nos partenaires notre présence en 2013 à San Francisco ! La procédure de &quo! t;Late Entry” existe bien, mais elle est à la discrétion du Golden Globe Yacht Club, donc elle ne garantie aucunement à un projet, de pouvoir être présent en 2013. Il faut donc commencer à se concentrer sur les teams qui avancent, construisent et non sur ceux qui sont encore dans le virtuel… Nous ne sommes plus que deux en lice, présents tous les deux à Cascaïs. Pour le reste, soyons pragmatique, on est le seul des deux Team français à se présenter sur les AC World Series avec un partenaire important et donc à pouvoir sécuriser la suite de notre programme”.
– Une question revient encore concernant la place pour deux Défis Français, votre avis ?
– BP : Je pense simplement que s’il n’y a qu’une place, elle sera pour le meilleur des deux (en marketing, performance, image, potentiel). Mais il n’est pas impossible que deux équipes français puissent exister, si la compétition est saine. L’America’s Cup a aussi fait la révolution de son modèle économique et les montants recherchés par nos teams sont justes équivalents à ceux des deux plus grandes équipes française de course au large, engagées notamment dans la prochaine Volvo Ocean Race ou le Trophée Jules Verne. Il me semble que le retour sur investissement d’un événement d’envergure internationale comme l’America’s Cup (3e événement sportif au monde) ne me semble pas le plus mauvais des choix”.