Que celui qui n’a jamais eu envie de fuir la civilisation moderne, jette sa première pierre à ces deux artistes ! Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski proposent au lecteur un retour sur les racines d’une civilisation méconnue: les habitants de la Patagonie. Ce roman est une découverte ou un retour aux plaisirs simples : les discussions sans stress, la communion de l’homme avec la nature, le plaisir d’écouter de jolies histoires….
Luis Sepulveda retranscrit les histoires racontées par ce peuple, Daniel Mordzinski saisit, par le biais de son appareil photo, ces visages d’un autre temps pour les fixer dans l’éternité. Le lecteur devient le témoin privilégié de ces discussions. Il écoute les histoires d’un autre temps qui lui rappelle que le temps transforme le monde mais que les traditions le traversent, certes, avec des modifications mais toujours avec panache.
Tous les rencontres, les transports deviennent matière à la découverte d’aventures extraordinaires. Les lieux lointains, hostiles, où le vent balaie le sable, permettent la communion des hommes. Les regroupements sont des moments d’échange, de fête. (le marquage de bétail, les repas animés, les bars propices aux rencontres). La locomotive (le Patagonia Express) fait partie intégrante de leur civilisation mais doit effectuer son dernier voyage, faute à la modernisation. Le cheval est un compagnon indissociable de l’homme pour parcourir des milliers de kilomètres.
Ce coin de paradis subit la loi des plus riches qui désirent posséder un bout de terrain. Cela engendre des expropriations et des exils de peuplade. L’état a décidé de réduire ses ventes afin de sauvegarder son peuple.
Ce voyage se veut initiatique dans la quête d’un respect de la liberté mais aussi un retour en arrière pour éviter d’oublier ce qui constitue l’homme : ses racines et ses histoires passées (fondatrices d’humanité).
Les photographies, en noir et blanc, accentue cette sensation d’éternité et de bien être.
Les deux poètes des mots et de l’image donnent une idée de la beauté des paysages, du respect de l’autre. Une très belle leçon d’humanité.
Voici quelques citations tirées du livre :
“Ni plus ni moins, a confirmé Soriano, car dans le conglomérat de croyances qui constituent la foi d’un écrivain, il y en a une en laquelle je crois tout particulièrement : celle qui nous avertit du danger de confondre la vie qui coule au fil des pages d’un livre avec un autre, celle qui bouillonne de l’autre côté de sa couverture. Lire ou écrire, c’est une façon de prendre la fuite, la plus pure et la plus légitime des évasions. On en ressort plus forts, régénérés et peut-être meilleurs. Au fond, et malgré tant de théories littéraires, nous autres écrivains nous sommes comme ces personnages du cinéma muet qui mettaient une lime dans un gâteau pour permettre au prisonnier de scier les barreaux de sa cellule. Nous favorisons des fugues temporaires.”
” Un vent glacé balaie les rues de Punta Arenas et agite les eaux couleur d’acier du détroit de Magellan. Nous sommes à la mi-mars et les vols d’outardes qui abandonnent la Terre de Feu indiquent la fin du bref été austral. Très bientôt les jours vont raccourcir, la Patagonie deviendra la patrie du froid, de la neige, des longues nuits et, des deux côtés du détroit, les habitants se demanderont : et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?”
” Un cavalier s’est alors approché, il portait de larges jambières de protection et un gros blouson en laine et, quand il se déplaçait, il était difficile de déterminer la ligne de séparation entre le corps de l’homme et celui du cheval. Ils formaient un tout synchronisé jusque dans les plus légers mouvements. Il n’était pas vêtu avec élégance des gauchos qui constituaient à forcer l’admiration par leur dextérité au lasso mais je n’avais jamais vu quelque chose qui ressemblât autant au centaure.”