“Du projet initial de Chostakovitch – consacrer une trilogie aux destins tragiques de femmes russes à travers les âges – ne demeura qu’un opéra coup-de-poing : Lady Macbeth de Mzensk. S’il est l’un des puissants ressorts de l’oeuvre, l’intertexte shakespearien est ici bien amer : contrairement à Lady Macbeth, Katerina Ismailova – qui, dans la Russie profonde du XIXe siècle, tombe amoureuse d’un employé de son mari et sera finalement acculée au suicide – est moins manipulatrice que victime d’une société violente et patriarcale. Krzysztof Warlikowski libère aujourd’hui la force de subversion de cette oeuvre brûlante et scandaleuse, qui a marqué les premières années de l’Opéra Bastille”.
Attention ! Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties. Voilà l’avertissement que l’on peut lire en préambule en entrant dans la salle.
Et on confirme : l’opéra de Dmitri Chostakovitch et Alexandre Preis inspiré du roman de Nikolaï Leskov est un choc auditif autant que visuel.
Dès les premières notes, on comprend mieux pourquoi cette œuvre crée en 1934 fût jugée « dégénérée” par le pouvoir Stalinien et interdite pendant trente ans en Union Soviétique.
Le rideau de scène se lève sur le décor froid d’un abattoir. Les lumières se tamisent sur cette chaine automatique où pendent des quartier de bœuf. Le mécanisme entre en action quand un à un les ouvriers gagnent les les tables à découper où se dressent des morceaux de viande sans âme, éclairés par la lumière blafarde de gigantesques néons. Le décor est planté pour accueillir une vague de sexe et de violence durant trois heures. Une chose est sûre : le metteur en Krzysztof Warlikowski n’a pas choisi d’édulcorer le propos de cette oeuvre qui fût remaniée en 1962 « gommant » ainsi des parties jugées parfois trop sulfureuses. Mais là c’est bien de la version originale dont il s’agit.
Cette mise en espace réaliste et onirique nous offre une vision très noire de la nature humaine où cruauté, trahison, adultère vont submerger le spectateur tout au long des quatre actes et neuf tableaux. Scènes de viol, de fellation, de masturbation ou de copulation, toutes plus explicites les unes que les autres, scènes de passage à tabac et d’assassinat plus vraies que natures, on assiste pantelant à une succession de tableaux saisissants. La scène du viol collectif d’Aksinya menée par Seguei et un petit groupe d’ouvriers est terrifiante de réalisme. Le meurtre du mari orchestré par Katerina et Serguei obéit à cette même sauvagerie. La vison de son corps emballé dans une bâche plastique, puis suspendu sur la chaine d’abattage entre les carcasses d’aloyaux, nous saisit d’effroi. On salue la force inouïe des images provoquée par le metteur en scène qui surligne la crudité des mots et la symphonie musicale de l’œuvre.
Côté voix, le ténor tchèque Pavel Černoch costumé en “macadam cow-boy” illustre à merveille le côté rustre de Sergueï. Le chant de John Daszak qui endosse le rôle de Zinovy Borisovich Ismailov possède une signature vocale identifiable dès les premières mesures. L’nterprétation de la soprano Aušrinė Stundytė dans le rôle de Katerina est abosument remarquable. Voix ample et puissante dès les premières mesures, son jeu plein de ferveur est confondant de vraisemblance, De bout en bout, elle exprime ici son cri de la chair, son besoin d’amour et de sensualité. Enfermée dans la prison des femmes, ce goulag où ruisselle la peur, l’attachement aveugle qu’elle éprouve à l’égard de Sergueï ne peut que nous émouvoir. L’engagement qu’elle imprime dans le rôle est sans bornes, comme si elle chantait là pour la dernière fois.
On salue également la performance vocale du chœur de l’opéra de Paris sous la direction de José Luis Basso d’une puissance dramatique exceptionnelle. A la tête de l’orchestre, Ingo Metzmacher assure le tempo, modèle les phrasés de cette « symphonie de chambre » qui oscille entre l’éloquence tragique de la scène finale et la verve caustique propre Chostakovitch. Un triomphe assuré !
Jean-Christophe Mary
Lady Macbeth de Mzensk
Opéra en quatre actes et neuf tableaux
Musique :
Dmitri Chostakovitch
Livret :
Alexandre Preis
Dmitri Chostakovitch – D’après Nikolaï Leskov
Direction musicale :
Ingo Metzmacher
Mise en scène :
Krzysztof Warlikowski
Décors :
Małgorzata Szczęśniak
Costumes :
Małgorzata Szczęśniak
Lumières :
Felice Ross
Vidéo :
Denis Guéguin
Animation vidéo :
Kamil Polak
Chorégraphie :
Claude Bardouil
Dramaturgie :
Christian Longchamp
Chef des Choeurs :
José Luis Basso
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Boris Timofeevich Ismailov :
Dmitry Ulyanov
Zinovy Borisovich Ismailov :
John Daszak
Katerina Lvovna Ismailova :
Aušrinė Stundytė
Serguei :
Pavel Černoch
Aksinya :
Sofija Petrovic
Le Balourd miteux :
Wolfgang Ablinger‑Sperrhacke
Sonietka :
Oksana Volkova
Un Maître d’école :
Andrei Popov
Un Pope, un gardien :
Krzysztof Baczyk
La Bagnarde :
Marianne Croux
Le Chef de la police, le Vieux bagnard :
Alexander Tsymbalyuk
Un Officier :
Sava Vemić
Le Régisseur :
Florent Mbia
Le Portier :
Julien Joguet
Les Contremaîtres :
Hyun-Jong Roh
Paolo Bondi
Cyrille Lovighi
Le Meunier :
Jian-Hong Zhao
Le Cocher :
John Bernard
Le Policier :
Julien Joguet
Un Invité ivre :
Fernando Velasquez