Après l’opéra pop Monkey, Journey to the West (2007) à partir d’une légende chinoise et Wonder.land (2016) inspiré d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Damon Albarn retrouvait pour trois soirs la scène du Châtelet à l’occasion de la création française du Vol du Boli. Cet opéra contemporain s’inspire de l’histoire de de l’écrivain ethnologue Michel Leiris qui en 1931 déroba le Boli -un objet sacré utilisé au Mali et au Burkina Faso – afin d’enrichir les collections du Musée de l’Homme à Paris.
Pour mieux se réinventer, Damon Albarn est donc allé chercher l’inspiration du côté de l’Afrique et de l’Europe au XIIe au XXIe siècle en s’associant au réalisateur du film « Timbuktu », Abderrahmane Sissako. Dans cette collaboration étroite à partir des récits Michel Leiris, le musicien britannique et le cinéaste abordent ici les thématiques de l’esclavage, la colonisation, la spoliation, l’exploitation.
Ce soir, 37 artistes musiciens, chanteurs et danseurs évoluent sur l’immense scène centrale du Théâtre du Châtelet.
Le spectateur assiste à un incessant va et vient de tableaux et de décors mouvants, d’écrans géants où sont projetées des images de foule, de constructions urbaines, symboles de la mondialisation. Surprenant ce « Congo bonheur” lieu de débauche excentrique. Étonnantes ces immenses baies vitrées d’un salon colonial, intrigant ce fameux Boli, objet rempli de magie, représentant un petit buffle capable d’accomplir des actes extraordinaires que l’on retrouve comme fil conducteur du show.
La scénographie fluide d’ Abderrahmane Sissako aborde le sujet de l’ Afrique maintes fois colonisée au fil des siècles mais poses des questions existentielles, la vérité et le mensonge, les rapports de force entre l’Europe et l’Afrique, du Moyen Age à nos jours. En plein mouvement #BlackLivesMatter, alors que la Chine colonise à son tour le continent Africain, ce spectacle nous donne à réfléchir sur l’impérialisme et plus généralement les relations complexes et douloureuses entre les continents. Plus qu’une condamnation, ce spectacle suscite l’émotion et appelle le spectateur à la réflexion. Cette œuvre musicale n’a pas vocation à faire la leçon à l’Europe. Elle vise à mieux nous faire comprendre le monde actuel.
Les personnages principaux font une forte impression. On retiendra la présence charismatique de Fatoumata Diawara dont la voix puissante aux envolées lyriques fait de belles étincelles . Le comédien Baba Sissoko incarne avec majesté un griot narrateur. Les scènes cocasses et drôles viennent de François Sauveur qui campe tour à tour les rôles Michel Leiris, un maître, un dictateur fou, un résistant, Léopold II, une incarnation du pouvoir blanc.
Coup de cœur pour la musique brillante dirigée en live par Damon Albarn, jouée ici par 12 musiciens autour d’instruments de musique médiévale (flûtes , basson renaissance, trompes ) et instruments africains (Djembe, Kora, Balafon). On retrouve d’ailleurs avec plaisir un virtuose de la Kora, l’excellent Mamadou Diabaté. La musique se faufile à travers l’action, mets tantôt en relief la spoliation du Congo, le pillage des minerais, l’esclavage ou bien illustre de façon plus amusante, les animations informatiques sur écran géant, telles les constructions urbaines, symboles de la mondialisation galopante. On apprécie aussi les costumes d’Élisabeth Cerqueira conçus à partir de matériaux de récupération, aussi étranges que singuliers, le plus réussi étant celui de cet homme recouvert de bouteilles en plastique, symbole la pollution des mers.
Le spectacle sera repris, pour une vingtaine de dates, lors de la saison 2021-2022 au Théâtre du Châtelet.
Jean-Christophe Mary
Le Vol Du Boli, Opéra Contemporain. 1h26.
Damon Albarn
Livret et dramaturgie
Abderrahmane Sissako, Charles Castella
Mise en scène
Abderrahmane Sissako
Collaborateur à la mise en scène
Dorcy Rumbaga
Conseiller artistique / Casting
Charles Castella
Consultant artistique
James Bonas
Scénographie et lumières
Eric Soyer
Costumes
Elisabeth Cerqueira
Chorégraphie
Mamela Nyamza
Vidéaste
Mathieu Sanchez
Sound designer
Stéphane Oskéritzian
Direction musicale
Mike Smith
Direction des percussions
Remi Kabaka
Comédien / Chanteur
Sogolon la reine mère, la femme magique, une griotte, une esclave, la patronne du maquis
Fatoumata Diawara
Le roi Sundjata, Boy de Michel Leiris, un esclave, un serviteur, un tirailleur, un marchand, un mineur, un gardien de musée
Edouard Borrina Mapaka
Le griot narrateur, un client du maquis
Baba Sissoko
L’homme de la rue, un narrateur, l’homme du présent, un chanteur du maquis
Jupiter Bokondji
Michel Leiris, un maître, un dictateur fou, un résistant, Léopold II, une incarnation du pouvoir blanc
François Sauveur
Secrétaire de Michel Leiris, maîtresse d’esclaves, femme abolitionniste, invitée du salon, une femme amoureuse du tirailleur, une incarnation du pouvoir blanc,
Emma Liégeois
Femme au service du roi, esclave, prostituée
Faty Sy Savanet
Une fille du maquis
Woridio Tounkara
Un esclave, un client du maquis, un homme politique
Chrysogone Diangouaya
Musiciens
Flûte à bec / Trompe / Échantillonneur / Sythétiseur
Mike Smith
Conga / Percussion / Échantillonneur
Remi Kabaka
Percussions / Échantillonneur
Cubain Kabeya
Kora
Mamadou Diabaté
Percussions / Doom doom / Basse électrique
Mel Malonga
Djembe / Percussion / Échantillonneur / Calebasse
Papy Kalula Mbongo
Djembé / Tambour à fente / Échantillonneur
Mélissa Hié
Balafon pentatonique / Synthétiseur
Ophélia Hié
Balafon diatonique
Lansiné Kouyaté
Flûtes médiévales / Basson renaissance / Trompes / Synthétiseur
Xavier Terrasa
Sacqueboute / Trombone / Synthétiseur
Guillaume Bernard
Chanteurs d’hommes
Christian Ploix (solo) , Erwan Picquet , Vincent Pislar , Branislav Rakic , Matthieu Walendzik
Chœur de femmes
Emma Liégeois , Faty Sy Savanet , Tanti Kouyaté , Yvonne Coulibaly , Vivi Kazango
Danseurs
Mamela Nyamza , Soukeyna Boro , Chrysogone Diangouaya , Fatou Diarra , Magali Lesueur , Thierno Thioune