Marc Lepilleur, sculpteur verrier

 Le verre contemporain, jusqu’alors réservé à un petit marché d’initiés, commence à passionner les amateurs d’art. Marc Lepilleur, né en Suisse en 1968, a ouvert son show-room à Saint Aubin d’Aubigné depuis 2009. Il a accepté de nous en dire plus sur cette activité rare.

 M.Lepilleur
M.Lepilleur

Marc, quel est ton parcours?

Après un IUT en Génie Mécanique à Paris, j’ai intégré la fac d’Arts Plastiques de Rennes. Le Génie Mécanique ne me plaisait pas plus que ça, par contre j’aimais aller dans les musées, découvrir des tableaux. J’avais des copains eux-mêmes en Arts Plastiques, avec qui j’avais passé le bac, tout ça m’a donné envie d’aller vers la voie créative. J’ai ensuite monté un atelier d’émaillage avec des amis, puis je suis venu au verre progressivement. Ca m’a permis d’assurer des revenus en lien avec mon activité.

Pourquoi avoir choisi le verre comme médium?

Ca s’est fait par hasard. Je travaillais au départ sur des matériaux différents. Le verre m’intéressait, j’ai commencé à le travailler et à faire des expos, du coup c’est ce qui me permettait de vivre, de gagner de l’argent. C’est aussi simple! Et à force de travailler la matière, on la maitrise mieux, on fait des choses de plus en plus intéressantes, donc je suis resté avec ça. J’ai vite su fabriquer des objets vendables, des coupes, des coupes, des sculptures. J’ai commencé par les sculptures mais c’était compliqué. J’en ai vendu un peu, mais je suis passé à des objets plus déco qui sont aussi plus faciles à vendre.

As-tu trouvé facilement les circuits où diffuser tes créations?

J’ai vite trouvé des circuits, mais au début pas les bons. Je suis d’abord resté dans le local, mais comme un atelier de verre coûte cher, il faut gagner de l’argent si on veut le garder. Il faut beaucoup se bouger, mais à force on trouve! J’ai réussi à intégrer le salon Maison et Objet à Paris, ainsi que des galeries. Il faut être motivé et y passer du temps.

Pourquoi le choix de cette activité demandant beaucoup de matériel?

Ca s’est fait comme ça. Je suppose que j’ai été conditionné par l’ambiance familiale, car je viens d’un milieu  où les hommes ont toujours travaillé dans la technique. Mon grand-père était ouvrier mécanicien, mon père aussi, on avait des machines-outils à la maison pour le loisir, j’ai grandi dans une ambiance d’atelier, donc je me suis toujours senti à l’aise avec le gros matériel. J’ai retrouvé ça dans le monde du verre et ça me convient bien.

Comment se passe ton processus de création? Imagines-tu d’abord la pièce que tu vas ensuite fabriquer, ou au contraire les essais techniques t’apportent-ils l’inspiration?

Pas d’ordre particulier. Le moment ou on se pose des questions est vite perdu. Quand on a une pratique quotidienne de l’atelier, on ne peut plus savoir comment viennent les choses. Tout vient en même temps, ça n’a pas vraiment d’importance. Un geste technique peut être utilisé plus tard pour nourrir la créativité, la technique donne des idées ou les idées font avancer la technique, tout ça est très nébuleux. La seule chose qui compte est d’y être tous les jours. Si on peut, bien sûr, car si on n’a pas d’atelier, ce sont les idées qui vont primer puisqu’on ne peut pas les réaliser.

As-tu toujours eu un atelier à ta disposition?

Oui, toujours. Au début je n’avais rien, j’ai tout acheté au fur et a mesure avec la vente de mes pièces de verre. J’ai acheté mon atelier et tout le reste grâce à ça.

Où puises-tu ton inspiration?

Beaucoup dans ce que j’ai fait en Arts Plastiques. Cette formation a été très importante pour la réflexion sur l’art, sur le fait d’avoir vu beaucoup d’œuvres, découvert les artistes majeurs, sur la qualité des cours et du regard de certains profs, de philo notamment. Il faut dix à quinze ans pour maitriser une matière, mais ce n’est pas ça qui compte, c’est de mettre ce qu’on a compris dans notre application à la technique. Mais je n’ai pas d’a priori, quelque chose de purement décoratif m’intéresse autant qu’une sculpture où il faut se prendre la tête. Ce qui compte pour moi avant tout est de faire les choses. Parfois les résultats vont dans un sens, parfois dans l’autre, tout est intéressant à faire.

Qu’est-ce qui te fait considérer qu’une pièce est de qualité, et une autre pas?

Quand elle renvoit un message, j’ai envie de continuer dans son sens. Soit elle renvoit vers le propos qu’on essaie de mettre en place intellectuellement à partir des sujets qui nous sont propres, soit elle renvoit à une esthétique de la matière, et là on est plus dans les arts décoratifs, il s’agit surtout d’un jeu formel. Encore une fois, les deux domaines sont intéressants. Le verre est une matière puissante qui se prête facilement à l’un ou à l’autre, le seul problème est de trouver le temps de tout faire.

Que veux-tu dire par “mettre en place intellectuellement”?

Une démarche. C’est un peu compliqué d’en parler. Une pièce artistique, par rapport à une pièce décorative, pousse à se questionner. Une pièce art déco est une solution, une réponse. Ca correspond à quelque chose de positif, à une beauté formelle u peu gratuite, comme une belle voiture. Ca ne sert à rien, mais on se fait plaisir en la regardant. Alors qu’une œuvre d’art pose des questions. On essaie de dire des trucs, de mettre en place des idées. Mon but n’est pas d’expliciter ce que je fais artistiquement. Ca m’amuse de le concevoir, mais le dire ne fait pas partie de mes priorités. Je ne cherche pas à ce que ce soit précis. Mon boulot c’est de faire des pièces, pas d’en parler!

Veux-tu transmettre quelque chose au public?

Non. Quand on fait des pièces d’art et qu’on les montre, c’est pour y lier un milieu social, parce qu’on est un professionnel. C’est ce qui permet de gagner de l’argent. Idéalement, je ne ferais les pièces que pour moi. Pour certaines, je n’ai même pas de photo, aucune trace car elles ont été vendues, je ne m’en rappelle même plus. Ce qui compte est de les avoir faites. Après, qu’elles se retrouvent dans des galeries c’est bien, ça fait partie du jeu, mais je m’en fous. Je ne fais pas des pièces pour les autres.

Tu les fait pour toi, alors?

Je ne sais pas, car chez moi je n’ai aucune pièce non plus! Je ne prends pas spécialement plaisir à les regarder, ce qui est important est de les faire. C’est vraiment le seul truc qui m’intéresse. Après, c’est oublié.

C’est donc avant tout le processus d’élaboration qui t’intéresse?

Oui! C’est ce qu’on est et ce qu’on fait dans le présent. C’est une démarche de long terme puisque mes pièces ont un rapport les unes avec les autres. Ce qui compte c’est d’y être. Je reconnais que c’est bizarre, car j’aime parler des œuvres des autres, essayer de les décortiquer, de les analyser alors que ça ne m’intéresse pas de le faire pour mon boulot. Ce n’est pas en rapport.

Tu parles de rapport. Quand on voit tes pièces, elles s’organisent en familles très différentes les unes des autres. Quel est leur rapport entre elle?

Il y a un lien dans tout ça, mais c’est compliqué de le montrer. Il y a quand même une continuité entre les pièces, des sujets communs comme la gestation, la formation, les fragments de corps, qu’on retrouve autant dans les pièces déco que dans les pièces artistiques. Pas très clair, mais si je faisais un film sur mes créations, tout prendrait sa place assez facilement. Par exemple avec la mer, ce qui m’intéresse est de parler des bestioles qui la peuplent, formellement ça pourrait se retrouver dans des formes embryonnaires qui sont seraient les mêmes dans d’autres domaines, en travaillant différemment.

Qui sont tes clients?

Des gens qui s’intéressent à la sculpture. Le verre existe peu dans le monde de l’art, et le cliché veut qu’une sculpture soit en bronze. Sinon ce n’est pas une sculpture! C’est le raisonnement habituel…La création de verre existe depuis le début du vingtième siècle. Les premiers sculpteurs sortaient des usines tchèques.

Justement, le verre fait partie des métiers d’art. Quelle est la différence avec l’art?

Les métiers d’art ont vocation à créer un cadre de vie. Les œuvres d’art sont un questionnement sur la vie. Un truc plus spirituel et philosophique. Les deux n’ont pas de rapport, ce qui ne veut pas dire que l’un soit mieux que l’autre. Ce sont deux recherches différentes. Il n’y a pas de création déco moche, car le but de l’art déco est de produire du beau. Tandis que le propos de l’art n’est pas du tout là. C’est plus expérimental.

Cette proximité du verre entre art et métier d’art a-t-elle une incidence sur les goûts de tes acheteurs?

Bien sûr! En général ils ne veulent pas d’innovation. Ils ont une idée précise de ce qu’ils attendent du verre, car ils ne sont pas dans une dynamique d’histoire de l’art. Ils ont des références et des critères. Par exemple, le verre doit être transparent, sinon c’est bizarre. Ou si on mélange les matières: le verre doit être pur. Cette idée est très art déco. Mais pour d’autres gens, ça va, ils sont ouverts. Dans le fond, ça n’a pas d’importance, c’est ce que les gens en font qui compte. Moi je viens d’Arts Plastiques, donc j’ai ma propre opinion, mais chacun est libre de ses envies.

Venant d’ Arts Plastiques, le choix de ce médium a dû te compliquer les choses?

Oui. J’ai touché un tas d’autres choses, mais il n’y a que le verre qui m’ait intéressé. Cette matière a un truc, ça passe par des machines, c’est très technique. Comme je viens de là, ça me convient bien. Il y a aussi une distance, il faut travailler sans la manipuler directement, via des opérations mécaniques, c’est très mental et finalement très intellectuel, assez comparable à la lumière. Pourtant le verre est considéré comme une matière ornementale alors que il est très sophistiqué. La première sophistication étant que pour obtenir un verre transparent, on mélange des matériaux qui ne le sont pas. Incroyable! Intellectuellement, c’est bluffant!

Ton but est-il de te détacher de l’approche “métiers d’art”?

Non. Si on veut vivre de ce qu’on fait, il faut rationnaliser. Donc suivant ce qu’on me propose, je m’adapte. Je peux faire une super expo dans une galerie, puis pendant des mois il ne se passera rien. Du coup en ayant un pied dans d’autres types de productions, cela permet d’explorer d’autres domaines, je trouve ça intéressant. Je me fiche d’avoir un côté comme-ci ou un côté comme ça. C’est la vie de l’atelier qui prime. Si demain on me propose de faire de la sculpture en me finançant, je ne ferai sue de la sculpture. Si on me propose un projet de déco avec des superbes pièces de verres, ça m’intéresse aussi. Economiquement, les métiers d’art sont très dépendants de l’argent. On en parle énormément parce qu’on ne fait pas de l’aquarelle, ça coûte cher.

Le manque d’argent t’a-t-il empêché de créer certaines pièces?

Bien sûr! Il y en a que je n’ai fait qu’en plâtre faute de moyens. Mais ce n’est pas si frustrant, car dans le fond je sais comment elles seront en verre. D’un point de vue créatif, le boulot est fait, le reste est du commerce. En exagérant un peu, le plâtre me suffirait!

Dans ce cas pourquoi faire du verre et pas du plâtre moins onéreux et compliqué?

Parce que le verre exprimera plus puissamment ce que je veux dire. Il a des qualités que peu de matériaux ont. Mais je veux le mêler à d’autres matières, lui en ajouter. Dans ma prochaine expo, je montrerai une pièce avec du bronze.

Sur quoi travailles-tu en ce moment?

Je fais des fleurs, des iris, des bulbes irrigués de couleurs. Des pièces d’art et des pièces déco moins chères, sur plusieurs thèmes. J’ai rencontré quelqu’un qui a réussi à trouver un lien dans tout ça, je suis assez content. Le fait qu’un tiers le formule aide parfois à comprendre son propre travail, et peut donner envie de plus relier les choses.

Quels sont tes projets en cours?

Le salon Maison et Objet à Villepinte (Paris) du 6 au 10 septembre , destiné aux professionnels de la décoration, et la première édition du salon Révélations au Grand Palais à Paris, organisé par les Métiers d’Art et de la Création du 11 au 15 septembre. Je fais aussi une expo personnelle dans une galerie à Troyes, et j’ai envie de trouver d’autres manières de faire, avec de nouveaux processus de fabrication incluant d’autres savoirs faire comme l’informatique. Je travaille aussi sur des pièces monumentales dans un propos plus “art contemporain”.

Marc, merci pour ce temps accordé.

Contact: www.marc-lepilleur.com

00 33 (0)6 12 18 54 17

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