Joey Starr est un habitué du Festival de Télévision de Monte-Carlo. Nous l’avions rencontré en 2021 lorsqu’il était membre du jury de la 60e édition. Cette année, c’est en tant que membre du comité de pré-sélection dans la catégorie fiction, qu’il a assisté à la 63e édition qui s’est déroulée en juin dernier. Nous l’avons rencontré au Grimaldi Forum, quelques jours après la diffusion sur TF1 de la deuxième saison de la série “Le remplaçant” où il tient le rôle de Nicolas Vareyre, un prof de français aux méthodes pédagogiques pas toujours conventionnelles. Tout naturellement, la littérature s’est imposée dans notre conversation, mais aussi le théâtre. Joey Starr était récemment sur scène avec Black Label, un récital à partir des plus grands textes de la poésie antiraciste d’Aimé Césaire à James Baldwin et il a récemment publié Le Code pénal en argot (éditions Fayard), écrit avec le journaliste Polo Labraise. Un succès en librairie qui le ravit et qui va sûrement en appeler d’autres puisqu’il ne manque pas de projets.
France Net Infos : Vous avez dû vous amuser en écrivant Le Code pénal en argot avec Polo Labraise…Il y a de nombreux articles de loi. Comment les avez-vous sélectionnés ?
Joey Starr : C’était amusant à faire ! On a sélectionné les articles par rapport à la fiction. On a choisi les plus croustillants. On peut dire qu’on est dans la cuisine des “Tontons flingueurs”. C’était ça, l’idée ! On va sûrement le décliner sous d’autres formes.
France Net Infos : Il y a aussi une certaine démarche littéraire. Tout le monde ne connaît pars l’argot…
JoeyStarr : Aujourd’hui, on appelle argot par exemple les contractions et les anglicismes que font les jeunes alors qu’à la base, l’argot est un langage fleuri, surtout fait pour ne pas être compris. J’aime faire vivre la langue.
France Net Infos : On sent chez vous un amour des mots…
Joey Starr : Je dirais que les mots ont changé ma vie ! Et pas que la mienne : les mots changent la vie de tout le monde, sauf qu’ils ne nous impactent pas tous de la même manière.
France Net Infos : Quels sont justement les textes, les auteurs qui vous ont marqué récemment ?
Joey Starr : J’ai découvert récemment Eva Doumbia et Souleymane Diamanka. J’ai lu des livres de Lyonel Trouillot que j’ai eu la chance de rencontrer en Haïti. Il fait partie des textes qu’on lit dans “Black Label”. Au départ, il y avait cent textes. On en a sélectionné une quarantaine pour construire le spectacle.
France Net Infos : Dans ce spectacle, vous lisez des textes contre le racisme. Certains sont très forts…
Joey Starr : Oui, dans ce spectacle il y a trois strates. On montre d’abord que l’esclavagisme est né en Afrique entre les Africains. La deuxième strate est la colonisation et l’industrialisation. La troisième insiste sur le tissu social que tout cela a généré aujourd’hui. En fait, tous ces textes mis bout à bout racontent que l’esclavagisme n’est pas juste qu’une histoire africaine, c’est une histoire du monde. On est tous concernés. Il y a peut-être un noir qui sommeille en chacun de nous !
France Net Infos : Vous avez mis en scène ce spectacle avec David Bobbée avec qui vous aviez déjà travaillé sur “Elephant Man”. “Black Label” est né d’une envie commune de vous retrouver au théâtre ?
Joey Starr : Quand on rencontre David Bobbée, on n’a plus envie de le quitter ! C’est quelqu’un de brillant. Il est l’un de mes papas de théâtre avec Jérémie Lippmann. Un jour David Bobbée m’a offert un bouquin, “Black Label”, un recueil de poèmes de Léon Gontran-Damas. C’est une véritable claque ! A force d’échanges, on a eu envie de monter quelque chose autour de ce livre. C’est ma deuxième mise en scène de théâtre et je me rends compte qu’on fait des spectacles sur des sujets de société cruciaux. J’adore l’idée. Je suis toujours en train d’apprendre.
France Net Infos : Pendant longtemps, on ne vous a associé qu’au rap et à NTM. Le théâtre, c’est un autre moyen d’expression pour vous…
Joey Starr : Nique Ta Mère, ce n’était pas quelque chose de forcément festif. On le rendait festif. On avait besoin d’exister, d’être entendu, de nous inscrire dans nos légendes personnelles. J’ai rencontré le théâtre il n’y pas très longtemps. J’avais une lecture très figée du théâtre ; je pensais qu’on faisait tous les soirs la même chose. En fait, non ! J’ai compris, comme pour un concert, qu’on n’a pas l’impression de faire la même chose tous les soirs. A condition d’aimer ce qu’on fait bien sûr !
France Net Infos : Vous n’êtes pas du genre à faire des choses que vous n’aimez pas faire !
Joey Starr : A 57 ans, si j’ai pas envie, j’y vais pas ! Je suis encore en train d’apprendre des choses mais j’adore ça ! C’est ce que j’essaie de transmettre à mes fils. Je leur dis qu’on n’a jamais fini d’apprendre. Le monde est vaste. J’ai été élevé par des gens à qui on a fait croire que le monde s’arrêtait au trottoir d’en face. J’apprends par les mots et par les rencontres que le monde est vaste et que demain est un autre jour. J’ai beaucoup de chance de ce côté-là.
France Net Infos : Vous faites plein de choses que vous aimez en même temps : le théâtre, le cinéma, la télé, l’écriture, la musique…
Joey Starr : Avant la fin de l’année, je vais sortir un roman graphique, “Supertanker (éditions Robert laffont). C’est comme ça qu’on appelle maintenant une bande dessinée ! Il y aura un QR code avec des titres de NTM. En ce moment, je fais des sound systems avec Dj Naughty J et d’autres djs. Tout ce que je fais est accompagné de musique. Je fais plein de choses en même temps. Je suis hyperactif !
France Net Infos : Parmi tout ce que vous faites, il y a la série “Le remplaçant”. On ne vous attendait pas dans le rôle d’un prof de français !
Joey Starr : Ca pourrait être comme une petite revanche pour moi alors que ce n’est pas du tout le cas. Je m’en amuse à mort ! Il me ressemble assez ce personnage qui aime enfoncer des portes, qui essaye de réveiller la passion chez les uns et les autres. Il vit dans une sphère qui s’appelle l’éducation nationale, malmenée par les différentes politiques depuis longtemps. La deuxième saison a bien marché. On va faire la troisième.
France Net Infos : En tant qu’élève, vous avez eu des profs qui ressemblaient à Nicolas, votre personnage ?
Joey Starr : J’ai en ai eu deux, un prof de français et un prof d’histoire. Je pense qu’ils comprenaient que je n’avais pas le mode d’emploi de l’école. En fait, j’allais à l’école pour qu’on sache où j’étais, tout simplement. Aujourd’hui, mes enfants ont conscience qu’ils vont à l’école pour eux, pour se confronter à ce que sera leur quotidien plus tard, pour acquérir une certaine vigilance. J’ai arrêté l’école après la troisième et je pense que si j’en suis là, c’est un peu grâce à ces profs.
“Black Label” sera en tournée en France en 2025.