Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb

Il est difficile d’aborder le sujet du harcèlement moral sans pour cela être catalogué comme un être fragile, incapable de se défendre. Elle s’approprie le sujet avec sérénité et fatalisme.


Amélie Nothomb déplace cette humiliation au pays du Soleil-Levant. Pays où la soumission à l’entreprise est sans commune mesure aux entreprises occidentales.

Amélie-san, jeune diplômée et férue de la culture nippone décide tout naturellement pour son premier emploi de traverser le pacifique. Elle maîtrise à la perfection le japonais. Ce qui lui vaudra les foudres de sa hiérarchie. Elle aide un responsable du service laitier, ce qui lui vaudra le courroux de sa seule collègue féminine. Amélie sera humiliée. Fubuki Mori donnera au départ des travaux herculéen pour que sa collègue se noie. Puis, pour se sentir supérieure à elle, lui fera admettre qu’elle est handicapée mentale. Mori la réduira en miette en lui attribuant le rôle de “nettoyeuse de toilette” homme-femme. Amélie résiste, ne courbe pas l’échine. Elle se remet en cause. Sa traversée du désert durera un an dont sept mois à nettoyer les toilettes. Amélie devra présenter sa démission à chacun de ses supérieurs hiérarchiques. Deux sur quatre sont mal-alaise devant la situation, tandis que les deux autres, deux brutes sanguinaires se délectent de son discours où elle se rabaisse encore.

Amélie Nothomb décrit avec un sens du détail chaque évènement de cette descente aux enfers. Elle fait un état des lieux, sans aucun sentiment de rancune. Cette manière d’aborder le sujet donne à son héroïne un charisme non dissimulé. Par sa manière de réagir, elle renvoie à son bourreau une image de démon. Certes, son démon principal a un visage d’ange et des attitudes démoniaques.

Il est évident qu’en Europe, ce genre d’humiliation s’achève par la démission du torturé. La violence de cette castration intellectuelle se fait de façon progressive donc anéantit plus rapidement son sujet. Le tortionnaire excelle dans sa cruauté.

L’auteur explique avec une certaine aisance la philosophie de la culture nippone vis à vis des femmes. C’est une note agréable à découvrir. Cette description alourdit la gravité des humiliations d’une nippone face à une belge.

La confrontation de la culture orientale et occidentale transcende le roman. Les silences posent un voile lourd sur la terreur de la soumission.

La violence du harcèlement morale dans les entreprises ne doit pas rester impuni. Surtout chacun doit prendre la responsabilité de ses actes et la hiérarchie doit mettre fin à ce genre d’agissement. L’employé réduit aux pures bassesses est un être brisé qui mettra beaucoup de temps à se reconstruire. Parfois, ces êtres dépourvus d’estimes d’eux-mêmes se suicident.

Amélie Nothomb donne une leçon de bravoure à tous ceux qui n’ont pas eu ce courage, trop humiliés qu’ils furent.

Voici quelques citations tirées du roman :

” Vous avez créé une ambiance exécrable dans la réunion de ce matin : comment nos partenaires auraient-ils pu se sentir en confiance, avec une Blanche qui comprenait leur langue ? A partir de maintenant, vous ne parlez plus japonais.”

” Dire que j’avais été assez sotte pour faire des études supérieures. Rien de moins intellectuel, pourtant, que ma cervelle qui s’épanouissait dans la stupidité répétitive. J’étais vouée aux ordres contemplatifs, je le savait à présent.”

” – On ne vous a jamais dit, Fubuki, qu’il était avilissant de rudoyer les handicapés mentaux ? – Si, mais on ne m’avait pas prévenue que j’aurais l’un d’entre eux sous mes ordres.”

” Monsieur Omochi était le chef : il avait bien le droit, s’il le désirait, de trouver un prétexte anodin pour venir passer ses appétits sadiques sur cette fille aux allures de mannequin. Il n’avait pas à se justifier.”

” Me donner ce poste, de la part de ma supérieure, était une façon de me forcer à rendre mon tablier. Or, démissionner, c’était perdre la face. Nettoyer des chiottes, aux yeux d’un Japonais, ce n’était pas honorable, mais ce n’était pas perdre la face.”


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