“La traversée” entre Marseille et Alger le film

Chaque été, ils sont nombreux à transiter par la mer entre la France et l’Algérie, entre Marseille et Alger. Des voitures chargées jusqu’au capot… des paquetages de toutes sortes… des hommes chargés de sacs et d’histoires. En mer, nous ne sommes plus en France et pas encore en Algérie, et vice-versa. Depuis le huis-clos singulier du bateau, dans le va-et-vient et la parenthèse du voyage, la traversée replace au coeur du passage ces femmes et ces hommes bringuebalés.

 

La Traversée L’idée d’Elisabeth Leuvrey de filmer la traversée de la Méditerranée en bateau par des immigré(e) sémigré(e)s  partant ou retournant «chez eux » nous plonge au fond de la logique paradoxale de l’immigrationémigration, de l’identité et de l’altérité qui traverse toute l’oeuvre sociologique d’Abdelmalek Sayad auquel la cinéaste rend un bel hommage en lui dédiant ce film. Ce n’est pas le seul mérite de ce travail duquel émerge finalement l’ensemble du modèle théorique de Pierre Bourdieu sur la logique pratique et mythique de la pensée kabyle qu’il aimait considérer comme le réservoir de toute la pensée méditerranéenne.

Il ne s’agit pas de croiser (par une sorte d’intégrisme théorique et ethnologique) la charrue et le bateau ou la terre et la mer, ni de superposer le modèle de la maison kabyle sur le celui du navire. Il est plutôt question de traiter la mer comme un seuil , le limen, qui fournit selon P. Bourdieu « le modèle pratique de tous les rites de passage et vise à réunir ce que la nature a séparé et à séparer ce que la nature a réunis, le lieu où le monde se renverse et s’inverse » ; le lieu où le monde « pivote » pour reprendre l’expression d’ Arnold Van Gennep. La traversée, qui marque le premier jour du départ et/ou d’arrivée, peut être en effet considérée comme le moment et le lieu où l’immigré(e)-émigré(e) bascule. Il passe d’un monde à l’autre, de la France à l’Algérie, du pays d’immigration à celui de l’émigration, de l’autre à soi-même, bref, d’un état à un autre (dans le sens politique et psychique du terme). Il est ainsi comparable à tous les autres êtres en situations de vulnérabilité passant d’une condition à une autre, tels le nouveau né, la/le jeune marié(e), l’enfant récemment circoncis ou encore la femme enceinte.

Interview de Elisabeth Leuvrey et Bande Annonce

L’un des passagers du bateau exprime parfaitement cette situation inaugurale. Parlant de ce jour particulier du départ il dit «un jour comme celui-ci (…) c’est comme quelqu’un qui va mourir… il va au paradis. » Le film nous montre que la traversée n’apparaît pas seulement comme la somme des moments, des choses dites ou faites par chacun des passagers durant l’intervalle qui sépare le départ de l’arrivée. La cinéaste donne à voir un véritable rituel auquel se livre, chaque année, par air ou par mer, tous les deux ans à tout le moins, chaque émigré(e)- immigré(e); du moins tous ceux qui ne veulent pas passer au statut de poltron, Amjah, l’émigré qui a été mangé, emporté par les délices de l’immigration (les femmes et l’alcool). C’est ce rituel de la traversée qui permet, et à la limite enjoint à tous ces hommes et ces femmes de devenir ce qu’ils sont, c’est-à-dire, des immigrés- émigrés jouant, assumant et incarnant corps et âme ce double rôle, réalisant ainsi cette fiction sociale qu’est « la double absence » ou la « double présence ». Tout se passe en effet comme si la traversée avait pour fonction, entre autres, de préparer en la dissimulant, la collision inévitable entre ici et là-bas, entre le départ et l’arrivée, entre la présence et l’absence, entre soi même et les autres, entre l’immigré et l’émigré.

A propos redaction

La rédaction suit les tendances du moment dans le domaine d’actualité. elle vous propose de suivre l'actualité mais aussi des chroniques de livres, cinématographiques , de suivre l'actualité de vos loisirs ( parc , spectacles , sorties ) et de vous proposer des infos fraiches par nos journalistes présents dans toutes la France qui peuvent couvrir ainsi de plus près les informations , nous proposons aussi des dossiers thématiques en fonction de l'actualité et des podcasts audio et vidéos .

A lire aussi

“Première affaire” au cinéma : rencontre avec la réalisatrice Victoria Musiedlak et l’actrice Noée Abita

Mercredi 24 avril, sortira au cinéma “Première affaire”. Pour son premier long métrage, Victoria Musiedlak …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

WP Twitter Auto Publish Powered By : XYZScripts.com