« Un barrage contre le Pacifique » fait partie des romans les plus connus de Marguerite Duras. Largement autobiographique, il se déroule au début des années 30, en Indochine française. Une mère – elle sera toujours désignée ainsi dans le livre– vit avec avec deux enfants, Suzanne (16 ans) et Joseph (20 ans). Elle a économisé pendant des années pour acquérir une concession au bord du Pacifique. Mais l’administration, corrompue, lui a cédé des terres qui vont s’avérer incultivables car inondées régulièrement. Face à une telle situation, la mère va peu à peu sombrer dans la folie, sous les yeux de ses enfants, impuissants.
La comédienne Anne Consigny s’est emparée de ce magnifique roman de Marguerite Duras. Non seulement elle l’a adapté et l’a mis en scène pour le théâtre mais elle interprète aussi tous les personnages de cette histoire : la mère, Suzanne et Joseph mais aussi les personnages secondaires qui gravitent autour de cette famille. Avant sa venue au Théâtre Princesse Grace de Monaco le 12 novembre, elle nous a parlé du roman et de ce spectacle qui lui tient particulièrement à coeur.
France Net Infos : Pourquoi avez-vous eu envie d’adapter pour le théâtre « Un barrage contre le Pacifique » ?
Anne Consigny : C’est venu petit à petit. Il y a longtemps, un de mes amis avait voulu l’adapter, et, comme il n’y avait pas d’ordinateur à l’époque, je lui tapais son texte. C’est comme ça que je suis entrée dans le roman. Puis, on m’a demandé de le lire dans un festival de lecture. J’ai alors fait ma propre adaptation. Dans la salle, il y avait un auteur que j’apprécie beaucoup, Florence Seyvos. Elle m’a encouragée à faire quelque chose de cette adaptation. Pendant six ans, j’y ai pensé. Finalement, le hasard a bien fait les choses puisqu’une amie directrice d’un théâtre m’a imposé une date pour jouer ce que je voulais. Je lui ai dit que j’allais monter « Un barrage contre le Pacifique ». J’ai répété pendant le confinement mais, comme je ne pouvais pas le jouer, j’en ai fait un film. Et maintenant, il y a une tournée qui va passer par Monaco. Je serai à Paris au Studio Hébertot pour soixante représentations, jusqu’au 12 janvier.
France Net Infos : « Un barrage contre le Pacifique » est un roman complexe, qui compte près de trois cent pages. Comment avez-vous procédé pour l’adapter ?
Anne Consigny : Je n’ai pris que la première partie. J’ai travaillé à l’instinct. Dans les morceaux qui permettaient de comprendre l’histoire, j’ai pris ce que je préférais. C’est à force de le travailler, que je l’ai découvert. Pour moi, c’est le spectacle de ma vie dans le sens où le livre raconte exactement ce que je vois du monde. Dans « Un barrage contre le Pacifique », Duras a un regard extrêmement bienveillant sur cette famille, malgré la dureté qu’il y a entre eux. Elle nous raconte comment ils en sont arrivés là. J’ai l’impression de prêcher la bonne parole. La vie est très dure mais au fond de soi il y a une âme et une tendresse qu’il faut savoir voir.
France Net Infos : Ce qui est raconté dans cette histoire est intemporel…
Anne Consigny : La mère et ses deux enfants sont prisonniers de leur condition sociale. Des gens comme eux, il y en a partout dans le monde aujourd’hui. Il y a aussi une scène très forte dans le roman : celle où M. Jo demande à Suzanne de se montrer nue en échange d’un gramophone. Je trouve que c’est la plus belle chose qui ait pu être écrite sur le consentement. Pour moi, c’est un pur joyau !
France Net Infos : Vous avez déjà dit les mots de Marguerite Duras sur scène. Vous avez joué « Savannah Bay » il y a quelques années. Ce sont deux textes très différents…
Anne Consigny : « Un barrage contre le Pacifique » est un peu à part dans l’oeuvre de Duras. Elle-même disait qu’elle regrettait d’avoir obtenu le Goncourt pour « L’Amant » et que c’était « Le Barrage » qui aurait mérité de l’avoir. C’est un texte plutôt limpide, contrairement à « Savannah Bay » par exemple. Je trouve que c’est son roman le plus accessible. C’est un peu son œuvre de jeunesse. Après, la vie l’a abîmée. Elle peut être dure dans les interviews. Je trouve que le seul moment où on la voit avec une tendresse et une humanité, c’est dans « Un barrage contre le Pacifique ».
France Net Infos : Avant le début de la pièce, vous tenez à parler au public. Pourquoi ?
Anne Consigny : C’est la première fois que je me mets en scène. Depuis que j’ai commencé à faire du théâtre à 18 ans, j’ai ce rêve d’aller voir les gens dans le public. Je me rappelle que quand j’étais à la Comédie-Française, une fois, j’ai tenté d’ouvrir la porte qui est entre le plateau et le public. Mais on m’a dit qu’il ne fallait pas faire ça, que j’allais casser le rêve du public ! Je n’ai donc plus jamais osé le faire. Maintenant, c’est l’occasion de le faire. Je suis à l’entrée et j’accueille le public. Je discute avec chacun des spectateurs. Dernièrement, j’ai joué dans une salle de 600 places. Au début du spectacle, j’ai demandé s’il y avait quelqu’un à qui je n’avais pas dit bonjour ! Avoir ce contact change toute ma manière d’appréhender le spectacle et de le jouer. Comme les gens sont gentils, ça me met en confiance. Grâce à ça, j’ai 95% de trac en moins ! Quand vous êtes seul dans votre loge et que vous entendez le brouhaha de la salle, je peux vous dire que ça fait très peur !
France Net Infos : Hormis le théâtre, avez-vous des projets au cinéma ou à la télévision ?
Anne Consigny : Je suis en train de finir à Venise le tournage d’un premier film italien. Il n’y a que des acteurs italiens. Je suis une ex top model qui essaie de pousser sa fille à faire comme elle. Sinon, j’ai surtout joué dans des séries dernièrement. Dans « La Maison », qui est en ce moment sur AppleTv, j’interprète la sœur de Lambert Wilson et de Pierre Deladonchamps. Il y a un côté shakespearien avec des gens qui s’entredéchirent. J’ai les cheveux roux très longs avec une frange. Je suis une méchante un peu rigolote ; j’adore ! Dans une autre série, « Factice », avec notamment Caroline Anglade, je suis une chef mafieuse très méchante, qui n’a pas froid aux yeux. J’adore les séries parce qu’on tourne longtemps. C’est un peu comme au théâtre, quand on s’entend bien avec les gens, on peut rester longtemps avec eux !