Quand on arrive à la maison Fluide à Angoulême on ne sait plus où donner de la tête : une statue de Gotlib par-là, un Super-Dupont en pied dans un coin, un bar « Chez Francisque » et du monde partout, une effervescence d’un tout autre genre que celle que l’on peut voir dans les rues d’Angoulême pendant le Festival.
Il faut dire que cette année, c’est les 40 ans du mensuel alors la maison ouvre ses portes à tous et à toutes. On y croise donc les auteurs du magazine mélangés dans une joyeuse allégresse avec les fans de la première heure, les journalistes, les gens venus par curiosité ou ceux qui se sont juste perdu dans la petite impasse Charlie Schlingo…et oui, la maison Fluide est dans l’impasse Charlie. Bon, pas la place Charlie Hebdo (qui va être inaugurée ce week-end), mais quand même, y a pas de hasard…
Et la petite cour intérieure de la maison a été rebaptisée Square Georges WOLINSKI.
A l’étage de la petite maison de centre-ville, il y a la salle où se retrouvent les membres de la famille Fluide, à l’écart de l’agitation de la foule. Et pourtant, l’effervescence est là tout de même. Certains travaillent, montrent leurs planches à d’éventuels collaborateurs, d’autres discutent simplement, mangent, boivent, rigolent. On y croise entre autres Mo/CDM, Lefred-Thouron… et Yan Lindingre leur rédac chef.
L’accueil du patron de Fluide est chaleureux et la parole franche et directe. Lindingre nous dit que nous sommes le premier média à passer les voir depuis le dénouement heureux de « l’évènement ». Et oui, Fluide a failli déclencher une guerre sino-franco-fluido-mondiale…
Petite piqure de rappel : Début Janvier, à peine quelques jours après la fusillade de Charlie Hebdo, Fluide glacial sort son numéro du mois titrant sur le Péril Jaune… Après la tuerie de Charlie Hebdo, Lindingre publie un communiqué prétendant qu’ils remplacent leur numéro Couscous Jambon par un numéro Péril Jaune…
…et effectivement quelques jours plus tard, le numéro de Fluide sort en kiosque avec la couverture prévue…
Réaction immédiate des « autorités » chinoises, vexées et choquées par la couverture de Fluide. L’affaire commence à faire du bruit dans les médias, et certains dessinateurs chinois prennent la plume sur internet pour répondre aux dessins de Fluide. Est-on à l’aube d’un véritable incident diplomatique ?
Lindingre nous explique le fin mot de l’histoire et de cette couverture, prévue de longue date… Il y a plusieurs mois, il a pris contact avec les organisateurs du festival d’Angoulême pour organiser un évènement et une « super expo » autour des 40 ans de Fluide Glacial. Fin de non-recevoir…ils ont déjà trop à faire avec la délégation chinoise. Ok se dit-il, ils ne veulent pas nous aider, on va leur montrer ce que c’est qu’une opération de com’. L’idée commence à germer et le plan pour faire polémique avant et pendant le festival s’organise. Le principe ? « Etre le plus con possible » glisse-t-il avec un sourire. Et tout s’est passé comme prévu… « Même mieux » dit-il.
Dans ce numéro, ils ont « aggloméré tous les stéréotypes sur les chinois, tous les trucs les plus cons possible, et on a réussi à être vraiment les plus cons possible ».
Après cette belle pagaille, Lindingre exige auprès des organisateurs du festival de pouvoir rencontrer la délégation chinoise afin de leur « expliquer l’humour français » et pour leur dire : « on a envie de se poiler avec vous ». Ils voulaient leur dire : « On ne s’excuse de rien car vous les chinois vous n’étiez pas visés […] ce qu’on visait là ce sont les stéréotypes français ». Mais Jeudi dernier, l’organisation du Festival s’interpose pour empêcher la rencontre. Qu’à cela ne tienne, Fluide envoie son interprète chinoise auprès de la délégation au pavillon asiatique. Et « on les a invité » à la Maison Fluide nous dis le rédac’ chef. « J’ai demandé à ce qu’ils soient applaudis […] et je leur ai dit bon les amis on se comprend pas, alors comprenons nous, embrassons-nous, buvons un coup…et tout c’est bien passé ». Et les auteurs chinois « se sont marrés, ils ont tout compris […] Je leur ai présenté Christian Binet car je tenais à leur montrer ce qu’étais l’humour de Fluide Glacial qui est, d’abord avec les Bidochons, de rire sur les Français ».
Yan Lindingre nous apprend que dessinateurs français et chinois vont « nouer des relations ». Des dessins seront échangés pour que l’humour français soit visible en Chine et que des dessins chinois soient publiés dans Fluide. Mais ces relations n’empêcheront pas Fluide de garder son exigence de qualité : « Si leurs dessins sont nuls on les prendra pas » nous dit-il…et inversement…
Des dessins ont déjà été échangé lors de cette rencontre et vont être publiés sur des sites internet chinois. Pixel Vengeur, qui avait réalisé la couverture du Fluide « chinois » a embrassé les membres de la délégation chinoise…
Lindingre nous fait comprendre que l’humour Fluide est un humour sans frontières. Humour européen, humour mondial et pas seulement Français. Il nous confie que Gotlib est un grand copain des Monty Pithon. D’un côté les artistes néerlandais, allemands, italiens, et bientôt chinois…etc… et de l’autre l’humour « bidochon » de Binet.
« Mon rêve c’est que les chinois découvrent Lefred-Thouron, Charlie et Fluide… en fait c’est nous qui allons prendre le marché chinois. Parce que les trucs avec des coups de tatane dans la gueule, les dragons, les conneries, ils ont déjà tout ça. »
Il nous raconte une anecdote à propos de leur interprète chinoise qui lui a dit qu’elle avait mis 10 ans après être arrivée en France, pour comprendre l’humour Français et qu’elle a eu une révélation en lisant les sales blagues de Vuillemin.« L’humour la bas ça va être un grand combat pour eux (les chinois NDLR) pour le faire accepter et on va les aider. »Lindingre conclue en nous disant que l’humour peut se passer d’intermédiaires, de gouvernements, de représentants…, même si, nous révèle-t-il « un des auteurs de Fluide est au Quai d’Orsay ».« L’humour n’as pas besoin d’intermédiaire, l’humour c’est brutal, directement du producteur au consommateur » Yan Lindingre
Une polémique et un drame
Rappelons que les dessins et textes de Fluide Glacial sont préparés souvent 2 mois avant la sortie du mensuel… et on y trouve pourtant une histoire tristement prémonitoire de Michael Sanlaville dans laquelle des chinois débarquent à la rédaction de Fluide Glacial et exécutent tout le monde.
Alors la question est posée à Lindingre : coïncidence ? Non, nous dit-il, rien n’était préparé, cette histoire faisait partie du plan concernant le numéro Péril Jaune, elle a été dessinée 2 mois avant la fusillade de Charlie Hebdo.
Après le massacre de Charlie et la réaction populaire, Lindingre ne savait plus sur quel pied danser : « Dès que Schwarzenegger s’est abonné à Charlie Hebdo, je me suis dit qu’on était partie pour un grand n’importe quoi ». Le Fluide était déjà dans les dépôts de presse et Lindingre savait que on allait leur reprocher soit de ne pas avoir réagi aux événements, soit d’avoir voulu mettre de l’huile sur le feu avec leur couverture provocatrice sur la Chine. Quoi qu’il en soit, Lindingre nous confie qu’il ne voulait que des hommages personnels à Charlie Hebdo, pas « vendre du papier sur Charlie ».
« Avec Charlie, on est liés, on est cousins, on est frères ».
Charb était un dessinateur de Fluide… Tignous venait toujours dans les hors-série, Cabu faisait des apparitions sporadiques. Et dans le numéro spécial 40 ans de Fluide qui va sortir bientôt, les dessinateurs assassinés de Charlie auront leur place… « Parce que ils étaient prévus […] alors on va laisser des pages blanches ».
Et Lindingre nous explique comment il a vécu les évènements du début du mois de Janvier : « J’attendais le dessin de Wolinski le matin même, Willem venait de me livrer…avec un dessin prémonitoire en plus. Je vois arriver un SMS de Lefred-Thouron qui dit « t’en sais plus sur Charlie ? ». Rien que ce SMS, j’ai compris que c’était un attentat. J’ai regardé le net, il était question de 1 mort, de 10 morts… alors ma réaction ça a été d’appeler les potes pour savoir si ils étaient en vie. J’ai laissé des messages…Willem m’a répondu « je suis sain et sauf », les autres ont pas répondu… Certains des autres étaient bien vivants…Riad (Sattouf NDLR), Luz… ».
La voix de Lindingre se serre : « « Charb t’es la ? Ça va ? ». En même temps on m’envoyait des messages qu’il était touché alors je lui envoyais des messages pour lui dire accroche toi…[sic]. La réaction c’était les potes, c’était l’horreur, un truc que je n’ai jamais vécu dans ma vie et que je n’espère jamais revivre. Envoyer des messages pour savoir si les copains étaient vivants… A Wolinski « salut t’es la ???… » Sans réponse…
Au lendemain du drame, bouclage de Fluide, moment ou les auteurs remplissent les marges. « Ya eu 2-3 velléités de dessiner un truc, c’était merdique, personne n’avait envie »….les marges du prochain Fluide seront donc blanches… « ca chialait, ça se réconfortait…c’était pas le temps du dessin et pour moi il était hors de question de demander aux gens de se forcer à dessiner…ils ont dessiné quand ils en ont eu envie. »
« Charlie c’est les p’tit soldats en première ligne avec l’actu et nous on est la grosse cantinière à l’arrière front qui traite de tout et n’importe quoi ».
Alors oui ce week-end à Angoulême, on a évité la guerre franco-chinoise et on a mis à l’honneur l’humour français. Merci Fluide, Merci Charlie !
Julien Parny