L’Abbé Pierre – Une vie de combats au cinéma : rencontre avec le réalisateur Frédéric Tellier et le comédien Benjamin Lavernhe

En mai dernier, “L’Abbé Pierre – Une vie de combats” avait ému le Festival de Cannes où il avait été présenté hors compétition. Après “Goliath”, Frédéric Tellier  avait à coeur de faire le portrait de cet homme exceptionnel, de sa jeunesse chez les Capucins jusqu’à sa mort, sans éluder ses doutes ni ses failles. Le film, riche et ambitieux, se déploie sur plus de deux heures pour embrasser le parcours de cet homme, qui a mis sa vie au service des autres et qui est devenu, au fil des années, la personnalité préférée des Français. Si, dans le titre, le mot “combats” est, à juste titre, au pluriel, c’est que toute sa vie, Henri Grouès, devenu plus tard l’Abbé Pierre, n’aura eu de cesse de lutter contre la pauvreté. Pour interpréter ce “héros”, Frédéric Tellier a fait appel à Benjamin Lavernhe. Tous les spectateurs qui ont eu la chance de voir le film en avant-première louent sa prestation. A Nice où il vient d’être présenté à l’occasion du festival Cinéroman, “L’Abbé Pierre -Une vie de combats” a fait une forte impression auprès du public. Nous avons pu rencontrer Frédéric Tellier et Benjamin Lavernhe, qui nous ont parlé de ce projet et de ce rôle d’envergure.

France Net Infos : Frédéric, en 2021, lorsque vous étiez venu au Festival Cinéroman pour présenter “Goliath”, vous nous aviez parlé de ce projet sur l’Abbé Pierre. Pourquoi avoir eu envie de consacrer un film sur cet homme, admiré et respecté de tous, considéré pendant des années comme la personnalité préférée des Français ?

Frédéric Tellier : Ce film a pris un peu plus de cinq ans de ma vie. Lorsque je suis venu à Cinéroman, il y a deux ans, je devais terminer de l’écrire. Il y a eu trois ans d’écriture, un an de production et de tournage et un an de post-production. Plusieurs raisons ont fait que j’ai eu envie de réaliser un film sur l’Abbé Pierre : d’abord l’admiration, la fascination pour ce qu’il a accompli, pour sa vie qui se reflète dans notre époque moderne. Il a changé le monde. Et puis, ça a été pour moi un grand choc de découvrir sa vie intime. Je crois que je n’aurais pas fait le film si je n’avais pas découvert son incroyable vie intime, méconnue, surprenante, ambigüe parfois et incroyablement cinématographique. En terme de scénario, j’y ai vu tout de suite une ligne narrative très intense, avec des moments très intéressants à raconter.

France Net Infos : Dans le film, on le voit de 25 à 94 ans. Avez-vous tourné dans l’ordre chronologique ?

Benjamin Lavernhe : On a commencé par la période entre 35 et 40 ans, puis on a fait un bloc vieillesse et après on a tourné la partie où il avait 25 ans. Pour nous, comédiens, c’était important qu’on reste dans un chapitre de sa vie, pour le plan de travail. Une journée, pourtant, j’avoue que ça a été un peu épique parce que j’avais 94 ans le matin et 25 ans l’après-midi !

Frédéric Tellier : On a essayé au maximum de faciliter le travail de Benjamin mais il y a tellement de contraintes avec un tel film avec beaucoup de reconstitutions dans les décors, beaucoup de costumes et de figurants qu’on n’a pas suffisamment d’élasticité dans la mise en place des journées pour parfaitement gérer ça.

France Net Infos : Incarner l’Abbé Pierre doit être intimidant…

Benjamin Lavernhe : Comme j’ai la chance d’aimer profondément mon métier et les grands personnages, j’ai éprouvé un mélange de peur, d’excitation et un sentiment de chance. Très vite, la peur a laissé la place à l’enthousiasme. Je connaissais très peu sa vie et j’ai découvert qu’elle était romanesque. On pourrait même croire que si c’était de la fiction, ce serait un peu trop ! Il a eu une vie épique, cinématographique. L’Abbé Pierre était un héros et il était à la fois un homme pétri d’humanité, de complexité, de défauts. Son dernier secrétaire particulier, qui l’a accompagné les vingt dernières années de sa vie, disait de lui qu’il était très normal avec ses doutes et ses chagrins, mais aussi “anormal” puisqu’il a obéi à cette mission, cette vocation qu’il ressentait au plus profond de lui. Avec les compagnons d’Emmaüs et Lucie Coutaz, qui était cette grande femme derrière ce grand homme, il a changé le monde. Ils ont dit non ensemble à la fatalité de la misère. C’était d’une audace et d’un courage merveilleux. Aujourd’hui, il est un exemple magnifique et rare pour les jeunes générations. Il a une parole très moderne et très visionnaire. Il donne beaucoup de plaisir dans le jeu. C’est un homme qui avait une grande théâtralité, avec un rapport à la parole inouï. Il était meilleur que tous les hommes politiques qu’on peut entendre aujourd’hui. Il n’avait pas de langue de bois et il était tellement sincère qu’il bouleversait les foules. Il disait des évidences.

France Net Infos : Il y avait beaucoup de matières pour préparer le rôle. Comment vous-y-êtes-vous pris ?

Benjamin Lavernhe : Parfois, il y a des projets où il n’y a pas assez de choses et là il y en avait trop ! J’ai regardé beaucoup d’archives. J’étais très intéressé de le voir à différentes époques. C’était émouvant de le voir dans années 50, jeune. Les gens le connaissent surtout âgé. Je ne me suis pas privé ; j’ai regardé des heures d’interviews où il parlait de sa vie, de sa philosophie, de ses décisions. Il y avait aussi énormément de photos. Frédéric m’a aguillé sur les livres à lire et ceux à éviter. Une fois que j’ai accumulé toutes ces connaissances, on a commencé à faire des lectures et à parler de comment atteindre sa vérité. Il ne s’agissait pas seulement de lui rendre hommage. On n’était pas là pour réhabiliter l’Abbé Pierre mais pour être être plus près de lui, sans être trop intimidé.

France Net Infos : Le grand public ignorait l’existence de Lucie Coutaz…

Frédéric Tellier : L’Abbé Pierre était un être de paradoxes. Il était relativement inadapté à ce monde qui le faisait souffrir et il l’a quand même changé. Il était à la fois en porcelaine et en titane. C’est agréable quand on soulève le voile sur un homme derrière une icône si énorme. Le premier choc que j’ai pris en me documentant sur sa vie, c’est de découvrir qu’il a vécu une grande histoire fusionnelle avec Lucie Coutaz. En voulant filmer un homme, j’ai finalement filmé un couple. Ils sont tous les deux cofondateurs d’Emmaüs dans les statuts légaux ; ils sont enterrés côte à côte, dans la même tombe. Elle était aussi méthodique qu’il était bordélique. Lui était un formidable orateur alors que Lucie était dans l’ombre. Ils s’admiraient mutuellement et ils ont passé quarante ans ensemble. C’est totalement incroyable !

France Net Infos : Emmanuelle Bercot est formidable dans ce rôle…

Benjamin Lavernhe : Elle est une partenaire en or ! Je l’avais croisée avant mais on ne se connaissait pas bien. Ce duo est au coeur de ce récit. Emmanuelle me mettait les larmes aux yeux. Je suis sûr que s’il s’y a des scènes où je suis bon acteur, elle y est pour beaucoup !

France Net Infos : Maintenant que le tournage est terminé et que le film est bientôt à l’affiche dans les cinémas, pouvez-vous nous dire comment on sort d’une telle expérience ? Grandi ? Bouleversé ?

Benjamin Lavernhe : Bien sûr, j’ai été assez bouleversé. Ca m’a beaucoup remué. On était tous tellement fiers de parler de cet homme et d’essayer au mieux d’atteindre sa vérité et de faire entendre son message qu’il y avait une ambiance assez unique dans l’équipe. Je n’avais jamais connu ça avant. Tous les corps de métier étaient encore plus concernés que d’habitude. Cet homme était tellement inspirant qu’on avait l’impression que c’était notre guide et qu’on était tous là à continuer son combat. C’est sûr qu’une telle expérience a laissé des traces en chacun de nous et nous a changés.

France Net Infos : Vous êtes en ce moment au théâtre avec la Comédie-Française dans “L’Opéra de Quat’sous” de Brecht dans une mise en scène de Thomas Ostermeier. Quels sont vos projets au cinéma ?

Benjamin Lavernhe : Je suis ravi de revenir au théâtre avec cette pièce qu’on a créée cet été au Festival d’Art Lyrique à Aix-en-Provence. On la joue à la salle Richelieu jusqu’au 5 novembre. Je viens de tourner dans le dernier film d’Emmanuel Courcol qui sortira au printemps, une comédie dramatique avec Pierre Lottin et Sarah Suco.

“L’Abbé Pierre – Une vie de combats” de Frédéric Tellier avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot… au cinéma le 8 novembre.

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