Rougge: un instrument-un homme

Rendez-vous fixé à la piscine du Lido: un lieu tout à fait étonnant pour la rencontre d’un artiste… Rougge assume: «J’adore nager, je vais beaucoup à la piscine… c’est un cadre parfait pour moi, la piscine, la Meurthe tout à coté, c’est très révélateur pour moi » me dit-il.

C’est donc sur fond de bruits d’enfants s’amusant dans l’eau et une odeur chlorée qu’il s’introduit : « Je suis Rougge, je suis un homme, me dit-il en riant, c’est important à dire puisque quand les personnes écoutent rapidement ma musique, cela m’est déjà arrivé à ce que l’on me demande si je suis un homme ou une femme, sans me voir bien sûr, c’est vrai que si on écoute rapidement avec cette voix haut perchée… certaines personnes peuvent s’interroger… J’ai la chance de faire beaucoup de choses dans la vie, notamment faire du piano, chanter, faire de la musique et aller beaucoup à la piscine…»

 

Rougge s’est fait connaître du public avec son premier album « Fragment » en 2007, suivi du second « Monochrome » en 2015.  Albums laissant découvrir une voix exceptionnelle sous fond de douces et profondes mélodies.

L’artiste, dont la musique est très épurée, marie son métier d’instituteur et sa passion musicale avec équilibre.
« En fait j’ai pensé à un moment faire de la musique mon métier mais je me suis très vite rendu compte que ce qui m’intéresse c’est la création. Pour pouvoir vraiment créer librement il faut être indépendant, il ne faut pas avoir forcément besoin de cela pour vivre, le fait d’avoir ce métier d’instituteur que j’aime beaucoup me permet en même temps de pouvoir créer sans me poser de questions, faire ce que je veux, sans me demander si cela va plaire, si c’est à la mode…» m’explique-t-il.

Parcours classique pour le chanteur: inscription très jeune à l’école de musique, apprentissage de la guitare, participation à de petits groupes, et là c’est la révélation!: « A  un moment j’ai eu envie de faire quelque chose de plus personnel, c’est à ce moment-là où je suis parti en Angleterre, à Liverpool, un lieu important pour la musique; et c’est là où mes premiers morceaux ont été posés et que ce projet est né. Quand je suis revenu en France après un an, on va dire que Rougge était né là-bas et que le projet a commencé à se développer. »

On découvre une voix, une simple voix… Pas de textes, pas de mots, pas d’histoires à raconter ou apprécier, des sons, simplement des sons. De ces créations  sont ressorties deux expressions définissant l’artiste : « Piano-voix » ou « un instrument-un homme ». Rougge est en parfait accord  avec ces qualificatifs qui lui sont attribués, il m’explique: «Quand je suis arrivé en Angleterre, je suis arrivé avec l’envie d’explorer quelque chose de personnel,  je me suis retrouvé là-bas avec rien, juste un clavier, et cela correspondant d’ailleurs à un moment où l’informatique musicale était en plein boum. On commençait chacun à pouvoir dans son studio faire de super-productions,  avec plein d’instruments, des effets, des boucles…et je crois que je m’étais vite lassé de cela. Je me suis  mis au piano et j’ai écouté et joué beaucoup de musique classique, et j’étais fasciné de ce que l’on pouvait faire avec un seul instrument. Je crois que je me suis posé la question de savoir, moi petit musicien avec un piano et ma voix, ce que je pouvais faire. Donc c’est vraiment la base de mon travail, c’est minimaliste et cela me va bien,  « un instrument-un homme», cela me va bien. »

«Musique de chambre» , «musique de cinéma» , «musique classique», voire « inclassable» … à la question de savoir la catégorie ou le style qui définit davantage sa musique, l’artiste piano-voix me répond : « Je me suis complètement défait de ces questions là puisque pendant très longtemps je me suis interrogé sur mon style de musique mais je ne trouvais pas. Mon éditeur me donnait des conseils puisque pour des raisons marketing, c’est important d’être rangé dans des cases. J’ai même fait un questionnaire sur internet: comment définiriez vous ma musique?…  il n’y avait pas de retours particuliers

Rougge me dit être placé dans des catégories complètement différentes sur les diverses plateformes de musique,  «néo classique », « minimaliste », « autre»… « J’ai trouvé une fois l’album dans une catégorie « pop pour adulte»», me dit -il en riant.

« Je suis tombé sur une citation de Björk qui dit que la musique n’est pas une question de genre mais d’authenticité et je crois qu’après avoir lu ceci, je ne me  suis plus posé la question, c’est une interrogation que j’ai laissée derrière moi. Et les gens ne savent pas trop comment définir ma musique  pas plus que moi d’ailleurs. Je ne me pose plus cette question, je fais ce que j’aime. »
Et de conclure : «Le fait d’être indépendant et de faire ce que je veux sans ne devoir rendre de comptes à personne  est un poids en moins, cela me permet de se débarrasser de pas mal de questions futiles. »

La particularité de l ‘artiste réside dans le fait que sa musique est brillamment et uniquement accompagnée de sa voix. Une voix haute perchée, angélique.

« Je préfère un piano et une voix, et même une voix où il n ‘y a pas de mots. Ce n ‘est pas une posture esthétique, ce n ‘est pas un challenge. Je crois que j ‘ai rencontré  le fait de chanter sans paroles  comme on le rencontre tous… Cela m ‘arrivait de chanter sans paroles parce que j ‘oubliais les paroles ou parce que je chantais dans une langue que je ne connaissais pas ou comprenais pas. Et j ‘ai tout de suite ressenti du plaisir dans ce type de chant …. Je crois que cela m ‘a donné envie d ‘explorer ce côté-là, le fait de chanter sans paroles. C’est l ‘idée de sortir des mots pour accéder à autre chose. C’est sûr que je ne vis pas la musique comme un divertissement, je crois bien que c ‘est une recherche après rechercher quoi, je ne sais pas trop..»

Rougge,  Frédéric de son vrai nom, poursuit sa réflexion : «  J’ai fait des études de lettres et de philosophie, et je chante sans paroles alors que les mots sont ô combien importants pour moi et c’est ce qui déroute un peu les gens. Je crois que c ‘est une forme d’équilibre me dit-il, les mots révèlent mais cela peut être parfois trompeur, les mots définissent et cela peut être parfois très globalisant… … Je sens que dans le chant sans paroles il y a quelque chose d ‘assez indéfinissable. Par le passé j ‘ai pu écrire des textes, quand tu écris des textes tu es un auteur, tu as un message, tu transmets quelque chose tu sens que cela vient de toi, là quand tu chantes sans paroles, tu as l’impression que cela te dépasse un peu, il y a quelque chose d ‘étrange … Je pense que cela se rapproche d’une expérience de méditation même si je n ‘en fais pas mais je pense que c ‘est ma méditation à moi !  Je vis le chant sans paroles comme une recherche, comme un moyen de rentrer en contact avec l ‘autre ou rentrer en contact avec le réel, je le vis comme cela, comme une évidence, ce qui est sûr c ‘est que je ne vis pas la musique comme un divertissement. »

Sigur Rós est l’un des artistes auxquels on le compare souvent pour ne citer que celui-ci. Rougge m ‘avoue : « Personne n’est original, nous sommes tous influencés par un autre, mais assez paradoxalement, quand j ‘arrive au moment de la création et l’interprétation,  c ‘est vraiment quand je ne pense à rien du tout que j’ai l ‘impression d ‘être le meilleur, je ne suis jamais aussi mauvais que quand je commence à penser à quelque chose. Cela me fait penser à certains concerts où tout se passe bien, et dès que je commence à penser à des choses, à avoir des idées je deviens vraiment mauvais… Un chansonnier qui écrit une chanson, souvent il s ‘inspire du quotidien; et moi c ‘est l ‘inverse, c ‘est comme si je me creusais et cela allait se remplir tout seul, et là c ‘est comme s’il fallait réussir à évacuer. C’est pourquoi je compose le matin très tôt, je pense que l ‘on est encore en état de sommeil, on est pas encore dans le cheminement de pensées et cela m’inspire.

Tu penses à rien, c ‘est de la pure sensation et c ‘est très agréable … j ‘ai cette impression de sortir du quotidien, des vicissitudes, ou de ce qui est secondaire. J’ ai l ‘impression d ‘être dans l ‘essentiel, dans une forme d ‘existence, de vivre. Je crois que cela à un rapport profond à l’existence. »

En plus du duo piano-voix, Rougge laisse part « aux cordes »dans sa dernière création. Un EP de cinq titres où se mêlent un violoncelle, une contrebasse, un alto et deux violons.

 « Il s’appelle  sobrement « Cordes » car c ‘est une expérience avec les cordes… m’explique-t-il, en fait j ‘avais déjà enregistré un morceau avec des cordes, et cela m ‘avait bien plu.

Je pense que j ‘ai fait mes deux  premiers albums piano-voix pour  vraiment poser cette identité musicale, j ‘avais vraiment besoin de poser ce que j ‘étais  et d ‘une certaine façon dès que tu as posé cela, tu peux te permettre de chercher ailleurs sans avoir peur de se perdre en fait, m’explique t -il.

À la fin du deuxième album j ‘avais expérimenté un morceau bonus que j ‘avais arrangé pour deux violons et un violoncelle, comme cela m ‘avait bien plu , je me suis dit que j ‘allais consacrer un EP entièrement à cela, ce qui me permettait d ‘aller plus loin dans l’écriture pour les cordes, rechercher des tessitures différentes, des sonorités différentes, expérimenter vraiment tout ce que les cordes pouvaient apporter comme variations. Donc c ‘est une poursuite en fait aux deux premiers albums. Mais la colonne vertébrale  reste le piano-voix, mais par la suite il y aura d ‘autres collaborations, je vais certainement poursuivre ce travail avec  les cordes qui est vraiment intéressant. Ce sont toujours des ouvertures qui s ‘accrochent à cette colonne vertébrale et pour cela j ‘ai  rencontré cinq super musiciens qui ont travaillé avec moi. Les rencontres doivent aussi être humaines et musicales, et là j ‘ai rencontré des musiciens de grands talents et de grande générosité pour réussir à faire cet EP.»

 « Ce que je joue est un peu semi-improvisé cela vient de façon très libre, me dit Rougge, c’est d’ailleurs un des plaisirs, c’est que je ne joue jamais deux fois la même chose parce qu’il y a cette liberté, cette absence de paroles… etc… sauf que forcément les morceaux ont tendance un peu à se sédimenter. A force de jouer la même chose, il y a cette tendance à y rester. Pour l’EP  cordes, il a fallu écrire note à note, j’ai dû écrire pour chaque instrument, c’était assez inhabituel pour moi, c’est une approche différente et cela m’a plu, c’était un autre challenge. Je n’avais jamais écrit pour un quintette.» 

 
Photographe vosgien avec Vincent Munier, peintre aux États-Unis, festival polonais, court-métrage, pièces de théâtre, documentaire sur l’Alaska, la musique de l’artiste voyage de part et d’autre le monde. Les compositions originales du chanteur sortent des sentiers battus et laisse libre cours à l’imagination, aux rêves. Elles permettent de toucher un large public.
 
« J’aime bien tous ces échanges, ces collaborations, je trouve cela hyper enrichissant parce que le fondement de l’art c’est le partage. Je partage une expérience que je vis, qui parle à certains, qui ne parle pas du tout à d’autres; et quand cela entre en résonance avec certaines personnes, c’est vrai que cela crée du lien et c’est riche. Aussi, comme dans ma musique il n’y pas de paroles, il n’y a pas de frontières et c’est cela qui est intéressant. Et internet avec tous les travers que l’on peut lui trouver lui a permis cela.» 
 
Celui qui par son talent éveille les sens et l’émotion est un artiste définitivement singulier, sa voix, surprenante comme venue d’ailleurs, sa musique, atypique, tout comme son nom d’artiste « Rougge » « Je voulais avoir un nom  différent pour faire la part des choses entre mes activités musicales et mes activités quotidiennes, pour dire que tu peux être dans une recherche musicale pas facile et à la fois avoir une vie complètement équilibrée par ailleurs. J’ai essayé de trouver quelque chose au niveau de la sensation pure, j’aurais pu choisir un son, cela aurait été bien, j’aurais pu m’appeler  « O » ou « A »; et donc j’ai essayé de trouver une équivalence visuelle et ce qu’il y a de plus direct c’était une couleur. Le rouge est une couleur qui m’a tout de suite parlé, c’est très connoté, c’est très riche, je suis d’ailleurs entouré de rouge partout chez moi, le rouge c’est la vie, c’est la politique, c’est la passion, c’est très riche donc je crois que cette couleur-là s’est imposée à moi. Et le second « g » c’est simplement pour le plaisir de faire une grosse faute dit-il en riant, pour un instituteur cela libère!» 
 
Rougge continue de composer et d’enregistrer, poursuit ses collaborations et souhaite en trouver de nouvelles. Il espère avec ardeur renouer avec la scène : « J’aime beaucoup la scène, simplement je crois que maintenant j’ai envie de concerts un peu particuliers, un peu rares. Cela me manque, c’est quelque chose de quand même très particulier, le partage avec la scène, c’est quelque chose d’assez irremplaçable.» 
 
Petits théâtres intimistes, grands théâtres à l’italienne (Angers  2011), et même l’expérience unique de jouer sur les balcons de la magnifique place Stanislas (2012), confirme sa distinction. L’appel est donc lancé.
 
Il y a chez Rougge cette « sincérité musicale», cette volonté de partage musical, ce souhait de recherche de profondeur musicale sans superflu: « Je ne force pas les choses, je ne vois pas la musique comme une bataille, je fais ce que j’aime ce que j’ai envie de faire, je pense que je le fais avec sérieux et implication». L’artiste livre une musique empreinte de sensibilité, profonde, intense… à découvrir.

 

Pour en savoir plus sur l ‘artiste, cliquer ici

A propos Nuncia Dumorné

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