A la rencontre du groupe Terrenoire

A peine quelques jours après la sortie de leur deuxième album « Les Forces contraires, la mort et la lumière », le groupe Terrenoire a remporté la Victoire de la Musique catégorie Révélations en février dernier. Récompense amplement méritée pour ces deux frères, Raphaël et Théo Herrerias, originaires de Saint-Etienne, et plus précisément du quartier ouvrier de Terrenoire, auquel ils ont voulu rendre hommage en donnant ce nom à leur duo. Raphaël écrit tandis que Théo compose. Sur des rythmes tantôt envoûtants, mélancoliques, ou énergiques, ils évoquent la vie, le temps qui passe, l’amour, la mort dans des textes qui ont du sens, pleins de sensibilité et de poésie. Lorsqu’on prend la peine d’écouter avec attention les paroles, on est souvent saisis d’émotion, notamment en écoutant « Derrière le soleil », chanson dédiée à leur père décédé en et « Jusqu’à mon dernier souffle », bande-son utilisée par Intermarché pour sa publicité rendant hommage aux soignants pendant la crise sanitaire.

Cet été, Raphaël et Théo ont parcouru les festivals, aux quatre coins de la France. Le 3 août, leur tournée a fait étape dans les Hautes Alpes, à Gap, à l’occasion du festival « Eclat(s) d’été ». Quelques heures avant qu’ils ne montent sur scène, ils ont eu la gentillesse de nous accorder une interview. On nous avait prévenus qu’ils n’auraient pas beaucoup de temps à nous consacrer avant les balances. Finalement, nous avons échangé pendant près de quarante minutes. En effet, plus qu’une interview, notre rencontre avec Terrenoire a pris l’allure d’un passionnant échange.

Des textes sensibles et poétiques

Pour évoquer les deux frères Herrerias, on ne pourrait pas reprendre le titre du film d’Agnès Varda au masculin, « L’un chante, l’autre pas ». Ils chantent tous les deux ,et, sur scène, leur complicité fait plaisir à voir. L’un a un tee-shirt noir, l’autre blanc. Quand c’est l’un qui chante, l’autre le présente au public. Pour composer leurs albums, la distribution des rôles s’est faite spontanément. Théo se charge de la musique, sur ordinateur. « Changer d’environnement permet de renouveler la substance créative », reconnaît-il. La mer et le sud, notamment, l’inspirent. Raphaël, lui, de son côté, écrit les textes. Sensibles, poétiques, pleins d’humanité, ils ont su toucher le public. Raphaël lit beaucoup, « des essais, des textes philosophiques, dans l’idée de trouver des idées par rapport au monde dans lequel nous vivons. » Mais un texte ne suffit pas pour faire une chanson . Il faut aussi prendre en compte « le corps en tant qu’instrument ». Selon Raphaël, « une chanson doit s’accorder à un corps qui chante. Il faut que le texte tombe justement dans la bouche. Ca arrive qu’un texte bien écrit ne fasse pas une belle chanson. Parfois, on sent aussi qu’une même mélodie et un même texte ne font pas le même effet dans un autre corps ». Ecrire nécessite un long travail ; il en est bien conscient. « D’abord, on imite mais le chemin artistique que l’on parcourt, c’est de savoir ce qui sonne bien à l’intérieur de notre corps. »

Dans leurs chansons, Raphaël et Théo racontent souvent des choses très personnelles, « une intimité qui se confronte à l’époque », se plaît à dire Raphaël. Théo d’ajouter « ce sont des chansons de soin, de joie, de mort, de danse ». Le clip « Ca va aller » montre des images d’archives, des scènes filmées au camescope où on les voit enfants, en famille. Une expression dit « l’intime touche à l’universel ». Elle prend tout son sens quand on écoute les chansons de Terrenoire. « Derrière le soleil » parle de la mort de leur père, un texte très poignant qui a touché le public. Les deux frères ont d’ailleurs reçu de nombreux messages, pour les remercier pour cette chanson, qui a une sorte de vertu réparatrice, thérapeutique.

A Gap, comme lors de leurs autres dates de concert, ils ont interprété les titres de leur deuxième album, « Les forces contraires, la mort et la lumière », qu’il définisse plutôt comme le volume 2 du premier album, enrichi de sept chansons. Une démarche singulière .« On avait à peine vécu la mort de notre père pour pouvoir en parler et pour pouvoir se redresser vers la vie. Et puis, le covid a étiré le temps. Il y avait donc de la place pour raconter de nouvelles choses. La société vivait une épreuve commune, au moment du premier disque. On s’est dit qu’on allait diriger les chansons vers les autres. Ces chansons ont été vraiment inspirées du covid. »

Ne pas oublier ses origines

Raphaël et Théo sont fils de profs et petits-fils d’ouvriers immigrés. « On ne vient pas d’un milieu riche, mais de gens dont l’ascenseur social avait déjà fonctionné par la culture et par l’école. » Leur grand-père paternel, ouvrier syndicaliste, est un passionné de littérature et d’opéra. Comme le nom de leur groupe en témoigne, ils ont vécu à Saint-Etienne, dans le quartier de Terrenoire, qu’ils citent fréquemment dans leurs chansons. « Quand on est arrivés à Paris, on s’est rendus compte qu’on était dans un monde auquel on n’appartenait pas. Appeler notre groupe Terrenoire, c’était aussi une manière d’enraciner notre musique hors de la capitale, dans un autre territoire, plutôt ouvrier. » Comme bien d’autres jeunes gens de leur génération et d’autres avant eux, ils ont quitté leur région et leur milieu pour vivre à Paris, mais ils ne se considèrent pas comme des transfuges de classe. « On n’appartient plus à aucune classe. On n’appartient pas à Paris, ni plus vraiment à notre quartier de départ. On est un peu des deux et un peu de nulle part à la fois. Notre métier est de fabriquer une histoire à l’intérieur du monde. Ce n’est pas important d’appartenir à une classe sociale », ajoute Raphaël.

La musique, on peut même dire la quête de la beauté, est bien plus importante à leurs yeux que la richesse ou la célébrité. « On est devenus propriétaires d’un studio de musique, et non pas d’un appartement », nous ont-ils révélé.

Après la Victoire de la Musique, une très belle tournée

Terrenoire a sorti l’album « Les forces contraires » en 2020, dans une période qui était loin d’être facile. Comme le rappelle Théo, « la promotion de cet album s’est étalée sur deux ans et demie. On a eu une chance formidable. » Et puis, ne l’oublions pas, leur titre « Jusqu’à mon dernier souffle » a bénéficié d’une formidable mise en lumière en servant de bande-son à la publicité d’Intermarché en hommage aux soignants. « On a vu qu’on a rempli un espace symbolique dans un moment où il y avait un vide de remerciements. On n’applaudissait plus les soignants. Cette démarche était vraiment intéressante. »

En février dernier, le duo a remporté la Victoire de la Musique catégorie Révélations. Une énorme mise en lumière pour Terrenoire. « On a une tournée extraordinaire pour cet album. On a une chance monumentale. On a sorti notre premier album au moment où les concerts se sont arrêtés. Et là, on fait la tournée. C’est magique ! »

A Gap où nous les avons rencontrés, le concert était gratuit. Ils ont donc joué devant un public qui ne les connaissait pas forcément, venu parfois par simple curiosité. Une proposition que certains autres artistes n’auraient peut-être pas acceptée. « C’est super d’être toujours dans l’inconfort et de ne jamais avoir de certitudes », assure Théo. « Notre travail est de faire en sorte d’amener vers un monde de beauté le public qui ne nous connaît pas. Et ça, c’est génial ! Cela nous permet de ne pas nous lasser et de nous remettre en question. »

La tournée de Terrenoire continuera dès le mois de septembre, dans toute la France.

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