BANDE DESSINÉE, IMAGINAIRE ET FRANC-MAÇONNERIE de Joel Gregogna et Manuel Picaud

Joël Gregogna, déjà auteur d’essais sur CORTO MALTESE, et Manuel Picaud, rédacteur du site AURACAN, signent ici un copieux ouvrage qui trouve ses origines dans les réflexions sur les liens entre bande dessinée et franc-maçonnerie suite à plusieurs manifestations et expositions sur le sujet à Epinal dans le courant de l’année 2012. Dans la lignée d’une certaine mode de la BD à tendance ésotérique, on pouvait remarquer le succès évident et la recrudescence de bandes dessinées prenant la franc-maçonnerie pour sujet avec l’apparition de séries comme LE DÉCALOGUE de Frank Giroud et surtout LE TRIANGLE SECRET crée par Didier Convard qui révélera être lui-même franc-maçon. Au delà de ce constat de l’intérêt des scénaristes et des lecteurs de BD pour le sujet, les auteurs tissent des liens entre BD et franc-maçonnerie : et si l’expérience de lecture proposée par la bande dessinée en ce qu’elle relève d’un langage et d’une écriture fondés sur le symbole et l’ellipse, en ce qu’elle ouvre à la connaissance des mythes, à l’exploration de l’imaginaire et la connaissance du monde pouvait avoir des liens avec l’expérience initiatique ? Une problématique étonnante mais non moins excitante pour amener à un ouvrage souvent intéressant mais qui pourra aussi parfois nous laisser un peu sur notre faim.

BD imaginaire franc-maçonnerieMal connue, difficilement cernable, compliquée à définir, souvent critiquée ou méprisée : voila des caractéristiques qui peuvent s’appliquer aussi bien à la bande dessinée qu’à la franc-maçonnerie et qui déjà suffisent à les réunir. Partant de ce postulat, les premiers chapitres, placés sous le sceau de l’imaginaire, s’appliquent à dissiper le flou et à définir plus précisément des notions indispensables pour pénétrer les univers de la BD et de la démarche initiatique tant sur le plan historique (les origines floues de la création des premières loges) que théorique (les définitions complexes et diverses de la BD se basant sur les travaux de théoriciens comme Thierry Groensteen, Benoit Peeters ou Scott McCloud). Une fois dans le cœur du livre, c’est moins à une étude du thème de la franc-maçonnerie en BD que nous convient les deux auteurs qu’à une ballade orientée et thématique dans le monde des mythes et symboles. C’est ainsi une grande diversité de sujets qui sont abordés et surtout (ce qui est plutôt plaisant) à travers un corpus d’œuvres et d’auteurs très variés (de Tilleux à Chris Ware, de Druillet à Tardi) témoignant de la passion et de la culture des deux auteurs. Lors du chapitre sur l’humour, ils apportent même une lecture maçonnique des SCHTROUMPFS et une réponse à l’essai polémique d’Antoine Bueno, LE PETIT LIVRE BLEU (sorti en poche chez Pocket en début d’année), qui voyait dans la communauté crée par Peyo un modèle politique dictatorial.

Pourtant, le lien qui se tisse entre certaines thématiques, leur écho dans l’univers de la franc-maçonnerie et dans celui de la BD parait parfois ténu ou en tous cas s’ingéniant à lancer “des pistes de réflexion” comme le revendique la préface mais sur des sujets tellement vastes (comme le chapitre consacré à la BD dite “muette” et le rapport binaire bon/méchant) que les auteurs nous laissent parfois un gout de trop-peu, une impression de survol. Si l’on peut suspecter Hergé d’avoir introduit des références maçonniques dans TINTIN à travers l’exemple des CIGARES DU PHARAON, pourquoi ne pas avoir développer un peu plus l’analyse ?(nous renvoyant du coup à une analyse d’un autre auteur, comme plus loin un renvoi de bas de page mentionnant comment le FORT WHEELING de Pratt s’enrichit au fur des rééditions de références maçonniques, nous renvoyant immanquablement à d’autres ouvrages, ceux de Joel Gregogna notamment, faute de précision supplémentaire) Dans la profusion d’œuvres citées et convoquées, on a parfois du mal à cerner en quoi elles sont signifiantes ou problématiques. Dans sa seconde moitié, l’ouvrage se concentre plus précisément sur une production contemporaine de BD qui vont aborder les motifs maçonniques de manière plus directe à travers certaines personnalités historiques, à travers certains thèmes (les bâtisseurs de cathédrales, l’alchimie…) et en dégageant des tendances (une BD maçonnique par des auteurs concernés dans la lignée de Hugo Pratt contre une BD antimaçonnique entretenant ou déconstruisant un discours négatif voire diabolisant s’il en fut). Cette partie, plus centrée et informative, s’avère souvent passionnante (avec notamment des reproductions de documents iconographiques de propagande sur le thème du “complot maçonnique”) et se conclut sur une bibliographie thématique bien utile.

Eu égard à l’évolution de la bande dessinée, débarrassée de la censure et bénéficiant d’une reconnaissance culturelle, les auteurs et dessinateurs se sont depuis quelques années attaqués de front au thème de la franc-maçonnerie là où leurs prédécesseurs l’ont fait de manière indirecte, fantaisiste, cachée voire cryptée. En concluant leur livre sur l’idée de transmission, les deux auteurs traduisent leur désir de donner envie au lecteur de continuer le voyage. On sort du livre alors un peu frustré, plein de questions mais avec l’envie de lire ou relire de la bande dessinée.

BANDE DESSINÉE, IMAGINAIRE ET FRANC-MAÇONNERIE – Éditions Dervy – Parution le 27 septembre 2013

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