DORA TOME 1 et 2 d’Ignacio Minaverry

C’était en 2012 que nous découvrions les éditions de l’Agrume, spécialisée dans les livres jeunesse et la littérature graphique, depuis peu de livres sortis mais des choix singuliers et toujours exigeants, une démarche qui intrigue et force le respect. Et surtout quelques beaux coups de cœur, comme cette série DORA et la révélation d’un auteur prometteur, l’Argentin Ignacio Rodriguez Minaverry, pourtant déjà traduit en français chez Emmanuel Proust il y a quelques années mais passé étrangement inaperçu. Charmé par la couverture du premier tome, on se plongeait dans un récit politico-historico-initiatique absolument passionnant. La rentrée 2013 voit donc paraître la suite de cette série, publiée d’abord sous forme de feuilleton en Argentine, un nouveau tome sous titré L’ANNEE SUIVANTE A BOBIGNY, ce qui nous permet donc de reparler de cette belle œuvre, ce nouvel épisode étant si ce n’est aussi bien que le premier, peut-être même encore meilleur.

DORA L'Année suivante à Bobigny Minaverry AgrumeDora est une jeune fille juive, fille d’une mère française et d’un père déporté et mort en camp de concentration. Dans le premier tome, elle travaillait au sein des archives de Berlin et- menait en secret un travail d’enquête pour en savoir plus sur les crimes du nazisme et se heurtait au silence de sa mère, des gens, d’une Allemagne qui semblait voulait à tout prix oublier au point d’enlever la touche 5 des machines à écrire parce que le sigle SS y était traditionnellement gravé. Elle allait, plus ou moins malgré elle, se retrouver impliquée dans une chasse au nazis et dans un voyage en Argentine sur les traces de Mengele. A travers sa relation avec d’autres personnages féminins, le portrait de Dora va s’affiner sans pour autant se défaire d’une certaine forme d’opacité. L’intrigue historique et le récit intimiste sont toujours fortement intriqué mais jamais Minaverry ne tend à trop exhiber les affects de son héroïne (nous lisons avec elle les archives qui rendent compte froidement de la barbarie nazie et c’est au détour d’une simple phrase qu’on apprend à quel point elle en est éprouvée physiquement et émotionnellement) et encore à lui plaquer une forme de psychologie artificielle. Très joliment campée, son héroïne évolue dans un univers graphique en noir et blanc faussement épuré : en effet, au fil des pages, on se rend compte de l’élégance et de la sophistication du dessin de Minaverry, de la subtilité de sa narration, de son talent dans la création d’une atmosphère. On se projette alors dans le personnage de cette frêle jeune fille qui semble écrasée par un Berlin sombre et monolithique et une histoire trop terrible pour elle.

Dans le second volume, Minaverry nous surprend encore en changeant de parti-pris narratif. Ce deuxième volet adopte cette fois-ci une narration chorale et donne une voix intérieure aux autres personnages féminins (DORA est clairement une histoire de femmes) qui constituent l’entourage de Dora : Odile Joubert, l’amie et militante communiste et surtout Geneviève Junot, la gitane qui, elle aussi, a perdu ses parents dans les camps et fera découvrir l’amour à Dora, elle qui juste là ne ressentait que confusément qu’elle n’aimait pas trop les garçons. Minaverry livre une chronique de la France des années 60, la tension des dernières années de la guerre d’Algérie tandis que les populations immigrées vivent dans des bidonvilles, l’apparition des grands ensembles et des HLM. Ce qui intéresse Minaverry de l’histoire de ces pays, c’est au fond leur rapport trouble avec un passé non réglé, à une mémoire honteuse. Et c’est ce qui fait écho aux drames de ces héroïnes qui chacune tentent de trouver une place dans le monde et de savoir qui elles sont et où elles sont. C’est une histoire de choix et d’engagement qui nous pose des questions qui sont toujours d’actualité aujourd’hui.

DORA – Deux Tomes aux éditions L’Agrume – Traduction de Chloé Marquaire – Tome 1 paru en 2012, Tome 2 paru le 17 septembre 2013

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