Nuit blanche des livres de Cap d’Ail : rencontre avec Irène Frain pour son livre “Un crime sans importance”

En décembre dernier, Irène Frain a obtenu le Prix Interallié 2020 avec Un crime sans importance (éditions Seuil).  La romancière a écrit de très nombreux livres et elle a été récompensée à plusieurs reprises mais son dernier livre a une saveur particulière : il s’agit d’un récit, qui se double d’une enquête, sur la mort de sa sœur aînée, victime d’un « crime sans importance », et toujours pas élucidé.

« J’ai entrepris d’écrire ce livre quatorze mois après le meurtre, quand le silence  m’est devenu insupportable ». C’est par cette phrase qu’Irène Frain débute Un crime sans importance. Dans la première partie intitulée « Faits et gestes », elle  se met à distance pour relater ce qui est arrivé à sa sœur Denise, une dame de soixante-dix neuf ans qui a été sauvagement agressée dans sa maison située dans une impasse d’un quartier pavillonnaire de banlieue. Hospitalisée, elle décèdera quelques semaines plus tard, « des suites de ses blessures ». La romancière se rend à l’enterrement de cette sœur tant admirée, à qui elle doit son amour pour la littérature, mais que les années et les circonstances de la vie ont séparées. Elle se désigne par cette périphrase : « la femme au manteau bleu-noir ».  Accompagnée de son mari, elle échange quelques mots avec l’un des fils de Denise. Il lui faudra plusieurs pages pour qu’elle passe du « elle » au « je ». Il s’agit de rendre toute son humanité à sa sœur ; c’est sa priorité.

Face au silence de la police – le policier chargé de l’enquête n’ayant pas rendu son rapport plusieurs mois après les faits -, et de sa famille, elle décide d’aller quérir la justice, accompagnée de son avocat. Mais « le mastodonte »  – c’est ainsi qu’Irène Frain nomme la justice-, prend son temps. Il lui faudra passer par des nuits d’insomnie, où sa sœur lui reviendra en rêve, victime de la « male mort », d’une mort tragique, comme le disaient les Anciens. Des photos et des moments du passé refont surface et Irène Frain déroule alors le fil du passé, parsemé de trous et d’interrogations. Le « je » prend alors toute sa place. Derrière ce « crime sans importance » aux yeux de la société et de la justice, il y a une femme, une sœur à qui elle doit tant, à qui elle doit peut-être tout.

Dans ce récit, l’intime et l’enquête se mêlent. Irène Frain va tenter d’en savoir plus sur cette mort, qu’il convient d’appeler un crime puisque d’autres retraitées ont subi le même sort que sa sœur, dans les environs. Pour reprendre l’expression de Stendhal, elle sort son miroir et se promène sur une grande route, observant l’environnement où vivait sa sœur, une dame âgée, qui vivait dans une impasse, non loin d’une zone commerciale, où chaque jour des centaines de personnes évoluent.

Nous avions rencontré Irène Frain lors de sa venue à La Nuit blanche des livres de Cap d’Ail en juin dernier. Elle nous avait parlé de son livre et de l’importance de l’écriture face au sang versé.

France Net Infos : C’était une nécessité pour vous d’écrire ce livre ?

Irène Frain :  On ne peut pas vivre avec le sang versé. Ce livre, c’est une bouteille à la mer que j’ai jetée, de façon tout à fait désabusée en me disant « on ne sait jamais ». Comment faire sens devant ce qui n’en a pas et quand les institutions chargées de vous donner du sens, à savoir la justice et la police, ne vous en donnent pas ? J’ai écrit ce livre pour me sauver. Au bout d’un peu plus d’un an, comme je n’avais toujours de nouvelles de personne, j’ai décidé d’écrire. C’est un texte qui se veut froid, neutre. Par moments, il y a de l’humour parce que j’essaie de ne pas m’apitoyer non plus sur moi-même.  Je pense qu’il est assez féroce à propos de la justice.  Je me suis posé beaucoup de questions jusqu’à sa publication. Comme ce livre a fait du bruit et, qu’en plus, il a obtenu le prix Interallié, l’enquête a été rouverte et il se peut qu’elle aboutisse.

France Net Infos : Vous avez écrit. Dans le livre, vous vous demandez comment font les autres qui ont vécu de tels drames…

Irène Frain : Comment font les autres qui n’arrivent pas à mettre les mots ? C’est la spécificité de la littérature. C’est à l’écrivain de mettre les mots, sur la douleur notamment et aussi sur les béances monstrueuses de nos sociétés. Ce livre a eu un large écho et sans doute a-t-il aussi permis de réparer des personnes qui n’arrivent pas à se remettre de faits aussi terrifiants. Quand j’ai eu accès au dossier, j’ai vu qu’il y avait eu dix-sept agressions de personnes âgées. Ma sœur était la treizième. Sur les dix-sept, très peu se sont portées parties civiles. Je me suis demandé pourquoi….

France Net Infos : Se lancer dans une telle démarche demande beaucoup d’énergie…

Irène Frain : C’était l’énergie du désespoir, celui du naufragé qui se dit « qui ne risque rien n’a rien et je veux sauver ma peau. » La littérature, c’est peut-être cela : jeter des bouteilles à la mer !

A propos Laurence

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