Ce quatrième jour du Festival a été marqué par l’entrée en compétition de deux sérieux prétendants à la Palme d’Or : Nuri Bilge Ceylan avec « Les herbes sèches » et Jonathan Glazer avec « The zone of interest ».
Nuri Bilge Ceylan en route vers une deuxième Palme d’Or ?
Presque chaque fois que le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan vient à Cannes, il repart avec un prix. Lauréat d’une Palme d’Or avec « Winter Sleep », il a de nouveau toutes ses chances avec « Les herbes sèches ». Le film commence avec un superbe plan : Samat, un professeur en poste dans un collège d’Anatolie orientale revient de vacances. Il sort du bus et marche dans un paysage enneigé. Ce sera le paysage que l’on verra dans presque la totalité du film. Comme le dit le personnage principal, ici, on passe de l’hiver à l’été. Il n’y a pas d’intermédiaire. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui fait qu’il n’a qu’une envie : quitter cette région et obtenir sa mutation à Istanbul où, croit-il, sa vie sera meilleure. Il s’ennuie ferme. Il a un colocataire, Kenan, professeur dans le même collège. Un jour, on lui présente une femme, professeur d’anglais très engagée, handicapée depuis qu’elle a été victime d’un attentat. Elle vient d’Ankara mais reste en Anatolie pour ses parents. Il ne s’intéresse pas vraiment à elle jusqu’à ce qu’il comprenne l’attirance de Kenan pour la jeune femme. De plus, les deux hommes sont convoqués par le recteur, accusés d’avoir des gestes déplacés envers une élève. Comme toujours, le réalisateur turque sonde la nature humaine. Chez lui, personne n’est tout noir ou tout blanc. Ses personnages ont un côté sombre. Samat éprouve le sentiment d’avoir gâché sa vie. Ce n’est qu’à la fin qu’il a une nouvelle perception de la région qu’il s’apprête à quitter. Il prend peu à peu conscience de certaines choses. Le paysage, ces herbes sèches qui se réveillent en été, servent en quelque sorte de catalyseur. Pendant plus de trois heures, Nuri Bilge Ceylan nous plonge dans les méandres de l’âme humaine. Un film puissant, magnifié par les paysages arides de l’Anatolie et les photos d’hommes et de femmes de ces contrées que certains voudraient quitter. Mais après tout, le paysage où l’on vit est-il responsable de notre malheur ?
« The zone of interest » de Jonathan Glazer
Deuxième film de la compétition : le glaçant « The zone of interest ». Pour sa première venue à Cannes, Jonathan Glazer a adapté le livre de l’écrivain Martin Amis. Il s’intéresse à la vie de famille du commandant d’Auschwitz vivant dans une maison mitoyenne du camp de concentration. Tandis que des centaines de déportés attendent la mort, Rudolf et sa famille profitent de la vie, du jardin, de la piscine, reçoivent des invités. Ils sont heureux, si bien que lorsqu’il est nommé ailleurs, sa femme tient absolument à rester dans cette maison qu’elle a si joliment décorée. C’est d’ailleurs ce cadre de vie que Glazer s’applique à filmer dans presque tout le film. Les acteurs sont toujours filmés de loin, au gré de leurs déplacements, de leurs faits et gestes dans ce cadre, que la belle-mère du commandant qualifie de paradisiaque. A côté, il y a pourtant le camp. On ne le voit pas mais on entend constamment le bruit des machines et les cris des déportés. Le malaise est palpable chez le spectateur, qui entend lui aussi ces horribles bruits. Au contraire, la famille ne s’en occupe pas. C’est comme si elle ne les entendait pas. Avec « The zone of interest », Jonathan Glazer perturbe et dérange. Un film glaçant et brillant qui a fait forte impression lors de la projection officielle.